LA REVOLUTION DU CAPITAL

mercredi 20 octobre 2010
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La lecture des textes de Jacques Wajnsztejn et de Jacques Guigou, qu’ils écrivent séparément ou ensemble, est à même de secouer bien des certitudes, mais pour autant, les thèses qu’ils exposent pourraient-elles être ignorées ?
Le stationnement dans la tranquillité théorique est-il une preuve de sagesse ou une peur d’affronter les difficultés des réalités, ou toute autre chose encore ?
Parce que leurs travaux existent bel et bien, et ils ne sont pas seuls à travailler les élaborations qui sont leurs.
Au fond, s’il s’agit bien d’une école, comme il en existe d’autres, se réclamant du marxisme et de son approfondissement.
Cette diversité dans la réflexion marxiste est-elle à redouter, ou, au contraire, convient-il de s’en féliciter ?

LES DANGERS DE L’UNIFORMATISATON DE LA PENSEE

Avec le recul du temps, je pense que l’expérience historique a plutôt mis en évidence et confirmé les dangers de la monopolisation de la pensée marxiste et de son uniformité, même si des efforts conséquents avaient été conduits pour contrefaire une réalité bien plus diversifiée qu’annoncée.
Et comme d’autres, cette pensée a besoin d’être « titillée », y compris pour ne pas prendre de retard sur les évolutions et les mouvements de l’histoire.

Combien de fois a-t-on considéré que rien n’est éternel, que tout naît, grandit, vit, se transforme, vieillit et finit par mourir, tout en continuant cependant à ignorer la nécessité impérieuse de procéder en permanence à « l’étude concrète des situations concrètes » selon la précieuse formulation de Lénine.

Certes le marxisme est loin d’en être à son extrémité, au contraire les mouvements de la société confirmeraient-ils plutôt sa vitalité renouvelée pour l’analyse après les tentatives de laisser croire qu’il aurait été condamné par l’histoire elle-même. C’est même plutôt à une renaissance à laquelle nous assistons. Pour le moins est-il beaucoup dit du « retour » de Marx, sinon du retour à Marx.

Et il semblerait, et ce n’est pas le moins important, que ce soit en premier lieu la jeunesse qui se manifeste dans ce mouvement.

FAIRE VALOIR LES VERITES POUR LES DIRE

Ce retour, ce nouveau recours, ne peuvent être, et ne doivent être des retours au dogmatisme de la pensée marxiste, à un schématisme étroit incapable de rendre compte des réalités et de leur mouvement.
Ne serait-ce que parce que ce « retour » porte une exigence, non point préconçue, mais constatée, de ce que ce qui s’était « baptisé » de « communisme » pour qualifier la réalité qui s’était édifiée dans un certain nombre de pays, ne correspondait en rien à ce que ses fondateurs avaient bâti théoriquement à partir des connaissances acquises par la société de leur époque sur elle-même.

Et le constat ainsi effectué gagnerait-il en force s’il était effectivement étayé par des démonstrations s’appuyant sur des argumentations irréfutables de différentes origines mais déterminées à faire triompher la vérité sur les tromperies, les mensonges et les calculs politiciens qui l’ont emporté tout un temps.

En cela aussi le travail des deux Jacques peut être fondamentalement utile même s’il ne vise pas au premier chef cet objectif là.
Tout le monde aura compris qu’il, ne s’agit point là d’un travail de connaissance et de compréhension facile.

Ce que je souhaite, c’est contribuer à permettre à chacun d’entrer dans cette connaissance tout en étant à même de juger de l’apport réel de Jacques Wajnsztejn et de ses amis.

CAPITALISME, CAPITAL, SOCIETE CAPITALISEE

Jacques Wajnsztejn et Jacques Guigou, auteurs de l’article qui porte les noms exposés ci-dessus, indiquent qu’ils se sont déjà posé le problème de l’emploi judicieux de ces termes et de leur pertinence.
« Pour tout dire, complètent-ils, nous sommes partis de Marx mais en essayant de nous appuyer sur ce qui, chez lui, relève davantage d’une conception dynamique de l’analyse du capitalisme que d’une conception archéologique de celui-ci.
« C’est aussi pour cela que tout en constituant un éclaircissement des _ « catégories » que nous utilisons, nous avons voulu les confronter à un mouvement historique de longue durée alors que l’analyse de Marx reste centrée sur la période, historiquement courte, du développement industriel du capitalisme. »

Jacques Wajnsztejn et Jacques Guigou précisent que ce texte présente schématiquement une perspective théorique en cours d’élaboration : « Nous le faisons circuler en l’état dans quelques cercles pour engager discussions et critiques. »

CAPITAL FICTIF ET CRISE FINANCIERE

« En effet, poursuivent-ils, la crise actuelle nous a amenés à écrire « Capital fictif et crise financière » pour décrire le phénomène à partir d’un prisme critique, mais la crise ne fait pas que subir l’analyse, elle rétroagit sur la critique en dévoilant ses propres faiblesses... Il faut dire que nous avons été assez déçus par les réactions à notre texte de la part des milieux radicaux. Cet écrit a souvent entraîné chez eux un raidissement sur des propositions les plus dogmatiques et scholastiques.
« D’une manière générale, la « crise financière » a eu pour conséquence de les faire revenir à une plus grande orthodoxie théorique, certains entreprenant même des virages et marches-arrières les plus étonnants par rapport à leurs critiques exprimées il y a peu.
« Pourtant, évacuer les faiblesses ou les limites de ses propres positions par un recours massif aux citations de Marx ou aux données statistiques ne nous paraît pas une solution », ceci valant confirmation de nos affirmations ci-dessus.

FORMES DU CAPITAL ET PROCESSUS DE TOTALISATION...

Jacques Wajnsztejn et Jacques Guigou expliquent que leur choix de privilégier la notion de « capital » n’est pas due au hasard puisqu’on retrouve ce capital à l’origine de la dynamique historique du capitalisme et à sa fin en tant que forme autonomisée, sous sa « forme fictive », et sous une unité des formes dans un capital devenu global.
« En ce qui concerne la « totalisation du capital », elle est censée exprimer la tendance du capital à devenir impersonnel, à apparaître « capital-automate » tant la domination revêt des formes à la fois complexes et abstraites...
« Cette situation, c’est celle de l’englobement de toutes les activités humaines qui deviennent une opportunité de « création de valeur » ; c’est la tendance du capital à devenir un milieu, une culture, une forme spécifique de société. »

...ET FICTIVISATION

« L’artificialisation de la vie par la génétique vue comme perfectionnement des espèces est le pendant de la « fictivisation » dans l’économie et la finance.
« Mais tout cela ne peut se développer que parce que la technique est devenue la base de toute objectivisation de l’activité à travers une idéologie matérialisée. Et la « société capitalisée » est celle qui s’est incorporé ce système technique. Elle fonctionne « en temps réel » comme nous le rappelle son constant discours et elle est incapable de penser ses besoins en dehors de ce système technique... »

Dans ce contexte, pour certains, la division dirigeants-dirigés perd sa pertinence dans un système où il y a de moins en moins de fonction pure, de division pure, vu la complexité du système.

LA DOMINATION DU CAPITAL-AUTOMATE

Aussi, pour Wajnsztejn et Guigou, « la domination sociale ne peut plus être imputée à une classe vraiment définie comme à l’époque de la bourgeoisie mais son effectivité reste quand-même bien prégnante.
« Dit autrement, poursuivent-ils, cela signifie qu’il y a bien personnalisation de la domination et non pas seulement le pouvoir anonyme d’un « capital-automate »...La maîtrise se veut de plus en plus rationnelle et impersonnelle mais cela relève en fait d’une non-maîtrise, d’une automatisation des décisions par les « systèmes-experts » et illusion de la toute puissance comme on vient encore de le voir avec la crise financière de l’automne 2008... »

Si l’on s’inscrit dans cette tendance, on peut concevoir qu’il n’y ait plus de conflits internes au capitalisme qui soient porteurs d’un antagonisme radical. Le capital n’est plus un rapport social antagonique entre les classes. Il n’y a plus de contradiction effective interne et spécifique manant automatiquement à une crise finale.

Wajnsztejn et Guigou confirment : « La fameuse contradiction entre le développement des forces productives et rapports de production a été englobée par la dynamique du capital comme nous pensons l’avoir montré dans « Après la révolution du capital » ; comme a été englobée la contradiction entre « classes » et « sujets » capables de développer une perspective révolutionnaire... »

A LA PLACE DE LA REVOLUTION COMMUNISTE

Comment s’opère alors cette « révolution du capital » à la place de la révolution communiste ?, interrogent alors Wajnsztejn et Guigou. Ils disent vouloir le monter à partir de l’anticipation de Marx sur le devenir du capital dans le maintenant très connu « Fragment sur les machines ».
Dans ce bref texte, Marx dégage une nouvelle « abstraction réelle », le General Intellect, c’est-à-dire le savoir objectivé dans le capital fixe et particulièrement dans le système automatique des machines.
« Dans le cadre de ce développement, le temps de travail concret n’est plus qu’une « base misérable » pour la mesure de la valeur », rappellent Wajnsztejn et Guigou.

« Il s’ensuit que l’origine de la crise n’est plus imputable aux disproportions inhérentes à un mode de production fondé sur le temps de travail (validité de la loi de la valeur-travail, loi de la baisse tendancielle des taux de profit, soit le marxisme comme science), mais à une contradiction spécifique entre d’un côté un procès de production qui inclut de plus en plus de techno-science dans ses forces productives, et de l’autre, une unité de mesure de la richesse sociale qui correspond encore au stade où c’était la quantité de travail vivant mise en oeuvre qui était moteur du processus d’ensemble.
« L’élargissement de cet écart conduirait, selon Marx, à l’écroulement d’une production basée sur la valeur d’échange et donc au communisme... »

MAIS SANS L’EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS

« Comment lire et utiliser le « Fragment » aujourd’hui ?, interrogent nos deux amis.
« Dans les faits, disent-ils, on a assisté à la complète réalisation de le tendance dégagée par Marx, mais sans le moindre renversement au profit d’une émancipation des travailleurs, sans même qu’un véritable mouvement s’en saisisse.
« Seul peut-être le mouvement des chômeurs a initié quelque chose en ce sens mais de manière limitée et fugace. Certains aspects du mouvement anti-CPE, d’autres de la révolte des banlieues et enfin les derniers évènements de Grèce ne sont pas sans lien avec cette évolution, mais ils sont trop partiels et disparates pour constituer de réels points d’appui pour un mouvement de plus grande ampleur.
« La contradiction dévoilée par Marx est donc devenue une composante de la société du capital.
« La disproportion entre croissance du savoir objectivé et baisse du temps de travail nécessaire entraîne non seulement le développement du chômage et des diverses formes de précarité mais aussi le brouillage des temps de travail effectifs et des temps de non-travail supposé, bref, elle entraîne de nouvelles formes de domination.

UNE SORTIE DE LA SOCIETE DU TRAVAIL

« Nous sommes, disent alors nos deux amis, dans une situation non-prévue par la théorie communiste : une sortie de la société du travail à l’intérieur même du salariat et des rapports sociaux capitalistes, une sortie de la société de travail sur ses bases mêmes.
« Cette contradiction s’expose dans les décalages croissants entre sphère politique et rapports sociaux de production. Contradiction déjà visible hier, lorsque, par exemple, Jospin répondait au mouvement des chômeurs qui l’interrogeaient sur le revenu garanti, que les socialistes ne prendraient pas de mesures conduisant à une « société d’assistance » ; et encore plus évidente aujourd’hui quand Sarkozy répond aux vagues de licenciements en disant qu’il faut travailler plus pour gagner plus. »

LA GUERRE PREVENTIVE DES ETATS

Cette contradiction s’expose aussi, disent nos deux auteurs, dans la sorte de guerre préventive menée par les Etats contre les effets visibles de cette contradiction au niveau de la dissolution des rapports sociaux ( une dissolution sans communisme ) et de la difficulté de les reproduire dans ces conditions.

« Zéro trouble, criminalisation des luttes qui sortent tant soit peu de la stricte légalité citoyenne, ouverture massive de nouvelles prisons, fichage généralisé dès la maternelle, contrôle de l’Internet, retour des archaïsmes disciplinaires, retours forcés à des emplois « bidons », sont parmi les mesures qui doivent contenir les « nouvelles classes dangereuses » actuelles ou potentielles qui ne peuvent plus ( et ne veulent pas ) venir gonfler une fictive « armée industrielle de réserve » devenue maintenant sans emploi parce que peuplée de surnuméraires absolus. »

LA QUESTION DE LA CRISE

« Les théories marxistes dominantes, poursuivent nos amis, que ce soit celle de la surproduction et des débouchés ou celle de la baisse tendancielle du taux de profit ont, en fait, toujours gardé comme postulat que le système capitaliste devait être soit en équilibre, soit en déséquilibre.
« La seule différence d’avec la théorie économique orthodoxe ( dite standard ), c’est la possibilité d’un déséquilibre profond, et donc la possibilité d’une crise objective, et bien sûr, d’une crise finale.
« Ce n’était pas faux, même si comme nous l’avons fait remarquer, Keynes ouvrait déjà une brêche dans cette hypothèse. Mais cette hypothèse est aujourd’hui rendue irréaliste, pour ne pas dire caduque, puisque le capital se développe sous forme de capital fictif ou virtuel.
« Le capital ayant englobé sa contradiction par rapport au travail, il se dynamise à l’extérieur de ce rapport qui n’en continue pas moins d’exister, mais comme un boulet qu’il faudrait traîner.
« De là des remarques de plus en plus insistantes de la part d’experts, pas tous altermondialistes, comme quoi le modèle occidental ne peut s’étendre à toute la planète sans tout faire sauter. »

FAIRE SAUTER TOUTE LA PLANETE ?

Il y a donc une hésitation sur la marche à suivre, sur d’un côté ce qui apparaît comme l’objectif à tenir, c’est-à-dire celui d’une « reproduction rétrécie » au coeur du système, et de l’autre la poursuite d’une « reproduction élargie » dans les zones émergentes.
« Cette « reproduction rétrécie » se fait dans une étroite dépendance à la dynamique globale du capital fictif. Etant autonomisé par rapport au travail productif et au capital productif, le capital fictif ne peut être interprété selon l’ancienne théorie des crises ; il fait coexister crise et non crise.
« Par exemple, le capital peut être en crise globale sans crise de production ( la crise actuelle de 2008-09 ), mais il peut connaître une crise au niveau de la production sans crise générale » ( la crise de 1973-début des années 80 )...

Aussi, pour Jacques Wajnsztejn et Jacques Guigou, la dialectique historique du capital, à travers ses luttes de classes, n’a produit aucune alternative à partir de son antagonisme.
Il y a eu l’échec de la révolution par affirmation du prolétariat, que ce soit sous la forme de la dictature du prolétariat ( Russie ) ou sous celle du pouvoir des conseils ouvriers ( Russie encore et Allemagne ) ou enfin des collectivités agricoles et prolétaires ( Espagne ).

IMPOSSIBLE D’AFFIRMER UNE IDENTITE PROLETARIENNE ?

Aussi poursuivent Wajnsztejn et Guigou, « en ce qui concerne la période actuelle, il est désormais impossible d’affirmer une identité prolétarienne qui permettrait encore de poser la révolution ou l’alternative en termes de classes.
« Certes, des contradictions internes demeurent mais sans leur caractère antagonique. On a plutôt l’impression d’une guerre unilatérale contre les conditions « normales » du salariat qui intègrent encore la norme du « compromis fordiste » entre les classes.
« Les luttes d’aujourd’hui mêlent donc inextricablement des déterminations objectives : les conditions de travail et de vie sont plus difficiles, les inégalités qui se développent du fait de la mise à mal de l’ancienne norme et des déterminations subjectives : les principes et la résistance ( la défense des « acquis » ), la révolte ( contre l’insupportable ).
« Mais on peine à repérer, constatent-ils, ce que l’on appelait auparavant des cycles de luttes ( le dernier fut celui de 1968-79 ) alors que de temps à autre se produisent des explosions sans références marquées à des identités ni à des lignes de classe ( révolte des banlieues françaises, émeutes grecques ou antillaises ) et que se manifestent des luttes dans les secteurs de la reproduction plus que de la production autour des questions de la solidarité, de l’égalité, du « tous ensemble » ( éducation, université, santé ).

LA REVOLUTION A TITRE HUMAIN

C’est aussi pour cela, concluent-ils à ce jour, que nous parlons de « révolution à titre humain. »

Sans doute conviendra-t-il que nous y revenions, les luttes actuelles se situeront-elles dans le cadre qu’ils annoncent ou le déborderont-elles, le légitimeront-elles ou lui apporteront-elles contradiction, la vie, en l’occurrence le peuple français et les autres peuples, donneront la réponse.



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