Au delà des textes (I) la nation un concept archaïque ?
popularité : 4%
En 2005, lors du débat sur la constitution européenne, nous avions été amenés à produire un ensemble d’articles de réflexion sur la nécessité ou non de construire une UE, la possibilité de réorienter sa construction et surtout la possibilité de construire une société de progrès dans chaque pays membres de cette union-là.
Nous reproduisons aujourd’hui ces articles en les actualisant si nécessaire bien qu’ils n’aient pour nous pas perdu grand chose de leur actualité. 7 ans après les questions demeurent et ont même pris de l’ampleur :
peut-il y avoir un bon traité ?
faut-il une Union Européenne ?
La nation un concept archaïque ?
Dans le débat qui oppose les partisans du NON et ceux du OUI à la constitution il y a les arguments qui résultent de la lecture et de l’étude du texte proprement dit, nous ne nous y étendrons pas, nous les partageons pour la plupart, avons diffusés et diffusons tous ceux qui nous semblent apporter du poids au refus du traité, mais plus fondamentalement les questions posées sont :
quelles alliances internationales en Europe et dans le monde ?
Quel cadre à celles-ci ?
Ou en d’autres termes peut-il y avoir une bonne constitution entre les états européens et même plus largement faut-il une constitution ?
Avec le texte qui suit nous inaugurons la série annoncée d’articles pour mener de concert bataille unitaire pour la victoire du NON et approfondissement de la réflexion sur le fond de ce qui est en jeu. Evidemment ces articles sont pour nous des contributions au débat qui doit avoir lieu et appellent donc critiques,enrichissement, réponse, voire contradiction.
Notre position sur « l’Europe » appelle une remarque préliminaire. Le débat n’est pas entre « pro Europe » et « anti Europe » mais entre partisans de l’Union Européenne telle qu’elle se construit (ou plus exactement telle qu’elle est imposée) ou adversaires de celle-ci. Il y a d’ailleurs une escroquerie intellectuelle instaurée par les initiateurs de cette alliance internationale à confondre les deux termes Europe et UE. D’emblée les penseurs et artisans de la construction européenne se sont situés sur le terrain idéologique en cherchant en permanence à détourner l’aspiration des habitants de ce continent à la paix, à la fraternisation entre les peuples, au désir de voir tomber les frontières.
Si dès le départ ils avaient dit on veut un grand marché européen, afin de favoriser les exportations, parce qu’il y a crise des débouchés dans chaque pays à cause des bas salaires et du chômage c’est pas sûr que cela aurait marché. Mais évidemment ce n’est pas cela qu’ils ont dit...
En quoi ceux qui refusent non seulement cette constitution, mais aussi la construction économique et politique au service de laquelle elle est, seraient moins européens que les partisans de l’organisation capitaliste des multinationales de 25 pays ?
I / La nation un concept archaïque ?
a). Nationalisme ou internationalisme :
A l’inverse de ce qu’ont dit quelques « euro constructifs » la volonté européenne supranationale, loin d’être « une belle idée déviée », a toujours été une machine de guerre contre les conquêtes politiques et sociales des peuples d’Europe.
On l’a oublié : de 1940 à 1945, les nazis eux aussi prônaient une Europe unie sous leur domination des peuples de race blanche « aryenne », débarrassée de l’héritage démocratique des Lumières, de la Révolution française et de l’humanisme judéo-chrétien.
Dans les années 50 en pleine « guerre froide », les inventeurs de l’Europe supranationale, idéologues de la Droite anticommuniste, Robert Schumann, De Gasperi et Jean Monnet, rêvaient de diminuer le rôle des assemblées nationales élues dans chaque pays européen, parce qu’elles exprimaient partout la volonté populaire d’en finir avec la domination des grands trusts.
La nation française n’est pas pour nous une réalité mystique, décidée de toute éternité par on ne sait quel dieu ; elle n’a pas toujours existé, elle aurait pu avoir d’autres frontières. Nous refusons les conceptions de la nation basées sur la race, la culture, la langue, la nation, « ethniciste » et agressive telle que l’imaginent les politiciens d’extrême droite et « souverainistes ». Notre NON à toute constitution supranationale ne relève pas du nationalisme : nous savons que tout nationalisme est réactionnaire puisqu’il nie les antagonismes internes à chaque peuple, puisqu’il oublie que les salariés français soumis à l’exploitation ont d’abord pour premier adversaire les privilégiés français qui les exploitent.
Pour nous la question de la nation et celle de la solidarité internationale de classe ne peuvent être dissociées. C’est ce qui fait notre différence avec une partie de la gauche sur la question des sans papiers par exemple.
Si nous avons conscience - et ce pour répondre à une autre partie de la gauche - qu’en ce qui concerne la France en particulier la constitution de la nation s’est faite au mépris d’identités et de cultures locales ou régionales, au prix de guerres ou de marchandages sordides au plus haut niveau d’Etats un jour rivaux, un jour alliés, nous prenons aussi en compte le fait qu’au fil de l’histoire le cadre national est devenu un cadre identitaire, un cadre de conquêtes et de droits sociaux. La nation française s’est concrétisée avec la Révolution de 1789, constituée par l’adhésion consciente des citoyens de toutes les régions de France prêts à défendre les réformes politiques et sociales imposées aux privilégiés : on nommait alors « patriotes » les partisans de la Révolution, contre les nobles immigrés et les envahisseurs étrangers. Cette nation française s’est ensuite enrichie au cours des 19e et 20e siècles des conquêtes populaires arrachées par les luttes, notamment ouvrières : le suffrage universel et la laïcité de l’état, les réformes du Front populaire et de la Libération, nationalisations et services publics, sécurité sociale, retraites et lois de protection sociale, etc.
b). le rempart ou le socle :
Tous ces acquis historiques forment le contenu de la nation française, que la bourgeoisie mondialiste, européenne et française, ne cesse de grignoter en profitant de la crise du mouvement ouvrier et progressiste depuis vingt ans. Toute constitution supranationale lui permettrait de démanteler plus encore ces conquêtes du peuple de France et de sa classe ouvrière, de détruire, selon les vœux de Sarkozy et de Berlusconi, les services publics et les retraites, la Sécu et les 35 heures, la laïcité et ce qui reste en France de souveraineté populaire.
Si la nation ne constitue pas un rempart immuable aux attaques contre les droits, elle constitue cependant un socle qui a permis et permet encore l’équité sociale. Elle constitue encore un frein aux volontés capitalistes internationales d’attaque contre les acquis sociaux comme le montrent tous les jours les luttes qu’il s’agisse du public (bataille contre les privatisations...) ou du privé (délocalisations, protection sociale...). Se battre pour les nationalisations, par exemple, c’est poser comme principe le contrôle permanent par chaque nation (salariés et usagers) de la production de richesses et de l’ensemble des services. Au cœur du débat (et du combat) entre services publics et services économiques d’intérêt général se trouve aussi cette question et nous y reviendrons dans un prochain chapitre. C’est justement parce que le cadre national est un frein à la voracité du capitalisme international qu’il a besoin du nouvel espace politique qu’une constitution européenne peut lui offrir.
c). faut il une constitution européenne ?
Certes les états nationaux ont joué en leur temps le rôle qu’entend jouer l’Europe aujourd’hui. Mais la plupart de ces états, à la différence de l’Europe, ont été forgés par des révolutions et ont été marqués par des mouvements de libération nationale. Il est singulier de voir qu’au moment historique où les nations ont acquis un réel début de maturité et où, donc, il devient possible de construire un réel internationalisme - échanges et coopérations équitables entre des nations souveraines - le capitalisme s’échine à construire de nouveaux outils de domination : un super état européen, ici, des instances similaires du type ALENA, ailleurs dans le monde. Que cet état soit fédéral ou confédéral apparaît au regard de ces enjeux bien secondaire. Mais tout comme un train peut en cacher un autre, un problème peut en dissimuler un second.
Faut-il une constitution pour l’Europe ?
On peut être tenté de se dire que dans le cadre d’une Europe des peuples, respectueuse des nations, il peut ne pas être mauvais de se donner une règle du jeu. Mais peut-on imaginer une Europe authentiquement sociale sans construction du socialisme dans les pays européens ? Nous sommes favorables à des coopérations qui peuvent prendre la forme de traités. Mais non pas à une constitution qui verrouille le jeu. Il est difficile d’imaginer que cohabitent des constitutions nationales et une constitution européenne. Pensons que coexistent sur le vieux continent des Républiques et des monarchies ! Plus précisément, si le capital pousse aussi fort à la roue en faveur de cette constitution européenne, c’est naturellement en raison de son contenu libéral, mais c’est aussi pour se débarrasser de ce que les peuples d’Europe ont pu inscrire de positif dans leurs constitutions nationales au fil de leur histoire, notamment au lendemain de la deuxième guerre mondiale. De ce point de vue ce n’est donc pas un concept dépassé que l’on peut balayer d’un revers de main.
d). Nation et démocratie :
Refuser la supranationalité aujourd’hui ce n’est pas opposer les souverainetés entre elles dans des replis nationalistes frileux, mais exiger que partout les peuples soient maîtres de leur destin pour l’échelle qui les concerne et tout accord international doit prendre en compte cette volonté là.
La question centrale posée par le référendum de 2005 sera celle-ci et dire non ce jour là à l’Europe supranationale, ce sera défendre la souveraineté populaire, le droit pour chaque peuple de choisir son gouvernement et ses lois et de protéger ce qu’il a conquis de libertés et de bien-être.
Cette question de la nation pose aussi celle des institutions et des lieux de décisions à l’intérieur de celle-ci. Quand l’Union Européenne était à 15 il y avait en France autant de communes (36 000) que dans les 14 autres pays réunis.
Ces lieux de pouvoir et de contrôle locaux étaient impossibles à accepter pour les partisans de l’Union Européenne. Depuis des années, au travers des lois successives de décentralisation ils veulent nous faire arriver à une Europe des régions (régions au sens de celles des dernières élections européennes ce qui veut dire pour la France 6 régions ), où les niveaux de décisions au nombre de 6 aujourd’hui (commune, canton, département, région, pays, Europe) seraient réduits à deux : région et Europe
On mesure les conséquences pour la démocratie...Du coup on voit d’un autre oeil les écrits qui fleurissent depuis quelques temps sur le thème : les départements c’est dépassé, place aux régions...
Les communautés de communes, qui se mettent en place avec comme 1re conséquence une absorption des petites par la métropole dominante ou le dépeçage des administrations nationales entrent aussi dans ce schéma là.
Parce que nous sommes internationalistes nous refusons le concept d’Europe des nations tel que défendu par les souverainistes, mais aussi celui de super état européen. Il y a fort à parier que les partisans du OUI vont axer principalement leur campagne idéologique sur cet aspect des choses en opposant d’un coté les européens généreux et de l’autre les nationalistes égoïstes. On a déjà vu et on verra de plus en plus apparaître l’argument : D’accord ce traité n’est pas parfait il faut l’améliorer, mais il faut construire l’Europe (au lieu de l’UE) ensemble.
Ce qui est en question aujourd’hui ce n’est certainement pas l’Union des Républiques Socialistes d’Europe mais la construction de l’ espace politique impérialiste dont le capitalisme a besoin.
Nous pensons qu’il faut dire NON à toute constitution supranationale car ne pas défendre aujourd’hui la nation française et ce qu’elle contient de conquêtes populaires serait se condamner à l’impuissance et à la régression pour l’avenir. C’est là un enseignement majeur : c’est dans les périodes où la souveraineté populaire s’est articulée avec les luttes ouvrières qu’elle s’est exprimée avec le plus de force et a permis les avancées sociales et démocratiques les plus importantes. Et c’est quand la France a fortement affirmé son indépendance qu’elle a pris les initiatives internationales les plus audacieuses.
Commentaires