4 avril 2006

mardi 11 avril 2006
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Première réaction à la proposition révisée de directive sur les services dans le marché intérieur.

Comme prévu, la Commission européenne a réagi ce 4 avril 2006 aux modifications apportées par le Parlement européen au texte initial de Bolkestein, sous la pression du mouvement social et de certains groupes politiques.

A. SUR LES OBJECTIFS POURSUIVIS

L’approche idéologique demeure identique :

- la motivation de la proposition est la croissance économique dont on postule qu’elle génère automatiquement de l’emploi ;
- on postule également qu’un libre-échange accru entre les Etats de l’UE va favoriser la croissance et la création d’emplois ;
- même foi dans le lien entre compétitivité des fournisseurs de services et d’une part création d’emplois et d’autre part fourniture de services de qualité ;
- même dogme de la concurrence qui profite aux consommateurs.
L’ode, désormais incontournable, à la stratégie de Lisbonne inaugure le texte.
Aucune trace, dans les motivations, de la nécessité de créer dans toute l’UE les conditions du libre exercice par tous de droits collectifs fondamentaux par l’accès égal pour tous à des services qui rendent possible cet exercice. Aucune volonté d’insérer la création d’un marché européen des services dans un processus d’harmonisation.

B. SUR LES AMENDEMENTS PROPOSES PAR LE PARLEMENT EUROPEEN

B.1 La Commission accepte certains amendements qui portent sur le champ d’application ; comme le Parlement européen.

- elle exclut la totalité des services du secteur de la santé, en ce compris les services pharmaceutiques ainsi que la couverture des soins de santé,
- elle exclut les services sociaux (logement sociaux, aide à l’enfance et soutien aux familles et personnes « dans le besoin », fournis par les pouvoirs publics ou par des fournisseurs privés mandatés par les pouvoirs publics, ainsi que les systèmes nationaux d’aide aux services sociaux,
- elle exclut le droit du travail (durée, congés payés, salaire minimum garanti, conditions de travail, relations sociales, droit de négocier, droit de conclure des conventions collectives, droit de grève),
- elle exclut que la directive puisse affecter les droits inscrits dans la Charte des droits fondamentaux [dont on sait à quel point elle est en retrait sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme] et la Commission a ajouté à l’amendement du Parlement européen, comme exemple de droit fondamental que la directive n’affecte pas, le droit de mener des actions industrielles, c’est-à-dire par exemple, le lock out,
- elle exclut le droit de la sécurité sociale,
- elle exclut le secteur audiovisuel ainsi que les aides à ce secteur qui sont couvertes par le droit communautaires sur la concurrence,
- elle exclut que puisse être considéré comme un service rémunéré (et donc soumis à la directive) les activités dans les domaines social, culturel, éducatif et judiciaire ; il est explicitement indiqué que le droit d’inscription payé par un étudiant ne peut être considéré comme une rémunération ; la définition d’un service fournie par l’article 50 du Traité ne s’applique pas à ces domaines,
- elle exclut les mesures prises par les Etats en ce qui concerne la protection et la promotion de la diversité culturelle et linguistique et le pluralisme des medias,
- elle exclut les agences d’intérim,
- elle exclut les services de sécurité,
- elle exclut les jeux de hasard,
- elle exclut la taxation.

En ce qui concerne les SIEG (services économiques d’intérêt général) et les SIG (services d’intérêt général), la Commission précise :
- a) que les SIEG entrent dans le champ d’application de la directive, mais que celle-ci ne décide ni de la libéralisation ou de la privatisation d’entités publiques qui fournissent de tels services, ni du financement ou des aides publiques à ces entités ;
- b) que la législation des SIEG échappe au champ d’application de l’article 15 (voir ci-dessous : les exigences à évaluer) ;
- c) que la directive ne s’applique pas à certains SIEG (ex. dans le domaine des transports) et que certains autres (ex : services postaux) dérogent à l’article 16.
- d) que les SIG échappent à la directive. Dans le texte du Parlement européen, il était ajouté « tels que définis par les Etats membres ». Cette précision a disparu du texte révisé de la Commission.
On notera que la définition du « prestataire » maintient qu’il peut s’agir d’une personne physique, c’est-à-dire de quelqu’un travaillant en indépendant. Une porte ouverte à la généralisation de ce type de travailleurs dans les entreprises de services dont seuls le patron et le fraudeur profiteront.
On trouve également une affirmation totalement gratuite : cette directive ne concerne pas les négociations dans le cadre de l’AGCS....
La Commission accepte « comme une partie d’un compromis général » la suppression des articles 24 (qui rendait inapplicable la directive sur le détachement des travailleurs) et 25 (qui légalisait les négriers), mais annonce qu’elle va adresser aux Etats membres des instructions sur ces questions.

B.2 La Commission n’accepte pas certaines modifications du Parlement européen :

- a) elle n’accepte pas les définitions de certains termes : « obligation de service public » (refus de toute définition), « service d’intérêt économique général » (refus de toute définition), « travailleur » (parce qu’elle serait redondante avec la définition du champ d’application de la directive), « autorité compétente » et « prestataire » (parce qu’elles modifient le droit communautaire existant) ;

- b) elle maintient une liste exemplative de services couverts par la directive (considérant 14) ;

- c) elle n’accepte pas la suppression du paragraphe 6 de l’article 15 qui obligeait dans la version initiale tout Etat de notifier à la Commission, « à l’état de projet », les nouvelles dispositions législatives, réglementaires et administratives qui introduisent des exigences susceptibles de limiter la liberté d’établissement sans que cela empêche leur adoption par l’Etat concerné ; dans le texte révisé, la mention « à l’état de projet a disparu », mais pas la phrase « la notification n’empêche pas les Etats membres d’adopter les dispositions en question ».

B.3 Les exigences interdites

Il n’y a pas eu de majorité au Parlement pour modifier sensiblement les articles 14, 15 et 20 qui, pour l’essentiel, reprennent le texte de Bolkestein (j’ai indiqué en caractères gras les amendements apportés par le Parlement européen et repris ce jour par la Commission) :

Article 14 : exigences interdites :

Les Etats membres ne subordonnent pas l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect des exigences suivantes :
- 1) les exigences discriminatoires fondées directement ou indirectement sur la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, le siège, en particulier : a) l’exigence de nationalité pour le prestataire, son personnel, les personnes détenant le capital social ou les membres des organes de gestion et de surveillance ; b) l’exigence d’être résident sur leur territoire pour le prestataire, son personnel, les personnes détenant le capital social ou les membres des organes de gestion et de surveillance ;
- 2) l’interdiction d’avoir un établissement dans plusieurs Etats membres ou d’être inscrit dans les registres ou dans les ordres professionnels de plusieurs Etats membres ;
- 3) les limites à la liberté du prestataire de choisir entre un établissement à titre principal ou à titre secondaire, en particulier l’obligation pour le prestataire d’avoir son établissement principal sur leur territoire, ou les limites à la liberté de choisir entre l’établissement sous forme d’agence, de succursale ou de filiales ;
- 4) les conditions de réciprocité avec l’Etat membre où le prestataire a déjà son établissement à l’exception de celles prévues dans les instruments communautaires en matière d’énergie ;
- 5) l’application au cas par cas d’un test économique consistant à subordonner l’octroi de l’autorisation à la preuve de l’existence d’un besoin économique ou d’une demande du marché, à évaluer les effets économiques potentiels ou actuels de l’activité ou à apprécier l’adéquation de l’activité avec les objectifs de programmation économique fixés par l’autorité compétente ; cette interdiction ne concerne pas les exigences de programmation qui ne poursuivent pas des buts économiques mais servent des raisons d’intérêt public ;
- 6) l’intervention directe ou indirecte d’opérateurs concurrents, y compris au sein d’organes consultatifs, dans l’octroi d’autorisations ou dans l’adoption d’autres décisions des autorités compétentes, à l’exception des ordres professionnels et associations ou organismes qui agissent en tant qu’autorité compétente ; cette interdiction ne s’applique pas à la consultation d’organismes tels que les chambres de commerce ou les partenaires sociaux sur des questions autres que des demandes d’autorisation particulières ;
- 7) l’obligation de constituer ou de participer à une garantie financière ou de souscrire une assurance auprès d’un prestataire ou d’un organisme établi sur leur territoire ; cette obligation n’affecte pas la possibilité pour les Etats membres de demander des garanties financières comme telles, ni les exigences relatives à la participation à un fonds collectif de compensation par exemple pour les membres de corps ou d’organisations professionnelles ;
- 8) l’obligation d’avoir été préenregistré pendant une période donnée dans les registres tenus sur leur territoire ou d’avoir exercé précédemment l’activité pendant une période donnée sur leur territoire.

Article 15 : exigences à évaluer.

1) Les Etats membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. Les Etats membres adaptent leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions.

2) Les Etats membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect des exigences non discriminatoires suivantes :
- a. les limites quantitatives ou territoriales sous forme, notamment, de limites fixées en fonction de la population ou d’une distance géographique minimum entre prestataires ;
- b. les exigences qui imposent au prestataire d’être constitué sous une forme juridique particulière ;
- c.) les exigences relatives à la détention du capital d’une société,
- d. les exigences, autres que celles prévues dans la directive 2005/36/EC sur la reconnaissance des qualifications professionnelles, ou fournies par d’autres instruments communautaires qui réservent l’accès à l’activité de service concernée à des prestataires particuliers en raison de la nature spécifique de l’activité ;
- e. l’interdiction de disposer de plusieurs établissements sur un même territoire national ;
- f. les exigences qui imposent un nombre minimum d’employés ;
- g. les tarifs obligatoires minimum et/ou maximum que doit respecter le prestataire ;
- h. supprimé
- i. supprimé
- j. l’obligation pour le prestataire de fournir, conjointement à son service, d’autres services spécifiques.
(...)

Article 20 : Restrictions interdites.

Les Etats membres ne peuvent pas imposer au destinataire des exigences qui restreignent l’utilisation d’un service fourni par un prestataire ayant son établissement dans un autre Etat membre, notamment les exigences suivantes :
- a) l’obligation d’obtenir une autorisation de leurs autorités compétentes, ou de faire une déclaration auprès de ces dernières ;
- b) les limites aux possibilités de déductions fiscales ou d’octroi d’aides financières en raison du fait que le prestataire a son établissement dans un autre Etat membre ou en fonction du lieu d’exécution de la prestation ;
- c) l’assujettissement du destinataire à des taxes discriminatoires ou disproportionnées sur l’équipement nécessaire pour recevoir un service à distance provenant d’un autre Etat membre.

B.4 Le principe du pays d’origine.

Le nouvel article 16 reprend celui qui a été adopté par le Parlement. Les mots « principes du pays d’origine » ont disparu. Plus rien n’indique quelle juridiction s’applique au fournisseur de service en provenance d’un autre Etat de l’Union : celle de son pays d’origine ou celle de son pays d’accueil ? On se souviendra que la Gauche Unitaire Européenne (GUE) avait déposé un amendement explicitant spécifiquement que c’est le droit du pays d’accueil qui s’applique et que cet amendement a été rejeté par une majorité de libéraux de droite et de gauche.
La proposition révisée a remplacé les termes « principe du pays d’origine » par « libre prestation de services » dans les considérants 44, 47 sans changer le reste du texte et l’expression « règle du pays d’origine » est remplacée elle aussi par « libre prestation de services » dans les considérants 6 et 40. Les mots changent, la portée générale du texte demeure.

L’article se compose de trois paragraphes :

1. Les principes : tout Etat doit respecter le droit d’un prestataire de service de fournir un service dans un autre Etat que celui où il est établi ; l’Etat d’accueil doit garantir le libre accès à l’activité de service et son libre exercice ; l’Etat d’accueil ne peut imposer des limites à cet accès et à cet exercice qui ne satisfont pas à trois principes :
- non discrimination : pas d’exigences en fonction de la nationalité ou du pays d’origine ;
- nécessité : toute exigence doit être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé ou de l’environnement ;
- proportionnalité : les exigences ne doivent pas être plus excessives que nécessaire pour atteindre leur objectif.

2. Les exigences interdites : la libre circulation ne peut être limitée par des exigences portant sur :
- l’obligation d’avoir un établissement sur le territoire,
- l’obligation d’obtenir une autorisation, d’être inscrit dans un registre, d’être inscrit dans un ordre professionnel ou une association,
- l’interdiction de se doter d’une certaine infrastructure (bureau, cabinet...),
- l’application d’un régime contractuel particulier entre le prestataire et le destinataire qui empêche ou limite la prestation de service à titre indépendant,
- l’obligation pour le prestataire de posséder un document d’identité spécifique à l’exercice d’une activité de service
- les exigences concernant l’utilisation d’équipements et de matériel pour la prestation du service, sauf s’il s’agit de la santé et de la sécurité au travail.

3. L’Etat d’accueil peut toutefois imposer des exigences pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique et de protection de l’environnement. Il peut également imposer ses règles concernant les conditions d’emploi, en ce compris celles qui sont établies par des conventions collectives.

C. ANALYSE POLITIQUE

Manifestement, l’intense pression exercée par les associations, les ONG, les syndicats et certains partis politiques a payé. Le Parlement européen a été obligé d’en tenir compte et la Commission également.
Le texte révisé du 4 avril 2006 représente une sérieuse reculade de la Commission européenne par rapport au texte qu’elle avait présenté le 13 janvier 2004. On doit se réjouir de voir un certain nombre d’activités importantes échapper au champ d’application de cette directive. Il demeure toutefois :
- 1) que la logique libre-échangiste domine ce texte qui va provoquer de nombreuses dérégulations (la suppression des exigences interdites dont l’ampleur est quasi inchangée par rapport à Bolkestein) ;
- 2) que l’absence d’indication sur le régime juridique appliqué au prestataire combinée avec la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes conduit directement à une application du principe du pays d’origine ;
- 3) que la capacité d’intervention des pouvoirs publics dans de nombreux domaines sera drastiquement réduite rendant par la même très difficile, voire impossible leur capacité à faire respecter un certain nombre de législations sociales ;
- 4) que ce texte ouvre la voie à une grande insécurité juridique et à de très nombreux conflits d’interprétation et donc à un rôle encore accru de la Cour de Justice européenne confortant ainsi une évolution de la gouvernance européenne vers le gouvernement des juges, ce qui accroît encore le déclin de la démocratie en Europe.

Une seule conclusion à tirer : il faut poursuivre la pression pour obtenir le rejet de ce texte qui demeure dans la logique de l’AGCS, du TCE, du CPE et de toutes ces prétendues réformes qui entendent déréguler et flexibiliser afin de permettre à un petit nombre de toujours plus exploiter en précarisant massivement.


Raoul Marc JENNAR
Chercheur URFIG/Fondation Copernic
Consultant de la GUE/NGL au Parlement européen



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