Chika Unigwe : « Les protestations au Nigeria ne cesseront pas »
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Au Nigeria, on assiste à une vague de protestations jamais vue. Le peuple en a assez de la pauvreté, de la corruption et de l’exploitation du gouvernement et des compagnies pétrolières. À Bruxelles, la romancière Chika Unigwe a organisé une manifestation. Nous l’avons rencontrée pour une interview.
Chika Unigwe (1974) est originaire du Nigeria. Aujourd’hui, depuis plus de 10 ans, elle vit avec son mari belge et ses quatre enfants à Turnhout. Elle écrit des romans, de la poésie et des livres éducatifs. En 2003, elle publiait son premier roman, De Feniks. Elle a déjà remporté plusieurs prix littéraires importants. Avec son deuxième roman, Fata Morgana, elle livre l’histoire captivante de quatre prostituées nigérianes dans le quartier chaud d’Anvers. D’ici peu, elle compte sortir un roman sur la vie de l’ancien esclave Olaudah Equiano, actif dans le mouvement pour l’abolition de l’esclavage. Les livres de Chika Unigwe ne sont pas encore traduits en français.
Depuis le 2 janvier, des centaines de milliers de Nigérians ont commencé à protester. Quelle en est la raison ?
Chika Unigwe. Le 1er janvier 2012, le président Jonathan Goodluck a brusquement supprimé les subsides aux carburants. Ainsi, le prix du litre de pétrole est passé de 65 à 141 naira. Aujourd’hui, l’économie du Nigeria tourne en grande partie autour du pétrole et, du fait des nombreuses coupures de courant, les familles utilisent des générateurs fonctionnant au diesel.
Par ailleurs, les gens sont en colère parce que le président Goodluck a à peine réagi aux attentats à la bombe, à Noël dernier, à Abuja, au cours desquels plus de 20 personnes ont perdu la vie.
Le gouvernement prétend qu’avec cet argent libéré, il veut investir dans les équipements sociaux. N’est-ce pas une bonne chose ?
Chika Unigwe. Ce sont de belles promesses, mais on ne voit rien venir, et elles ne proposent pas grand-chose. Le gouvernement a aussi promis d’acheter 1 600 cars de transit. Mais, dans un pays de 167 millions d’habitants, c’est une goutte d’eau dans la mer !
Les gens n’ont plus confiance dans le président. Il ferait mieux de regagner d’abord la confiance de la population en lançant de grandes rénovations. Ensuite seulement, le gouvernement pourra supprimer progressivement les subsides aux carburants.
Le gouvernement entend aussi rogner sur ses propres dépenses.
Chika Unigwe. Il faut en effet faire quelque chose contre les excès du gouvernement. Pour 2012, il y a un budget national de près de 24 milliards d’euros. Mais rien que le service de restauration présidentiel coûte près de 4,8 millions d’euros. Un quart du budget va à la sécurité du gouvernement. Celui-ci n’a pas mérité qu’on fasse preuve de bonne volonté. Les salaires au Nigeria sont déjà extrêmement bas. On ne peut pas demander aux gens de payer deux ou trois fois plus cher pour leur essence.
Récemment, le gouvernement n’a-t-il pas augmenté le salaire minimal de 36,2 à 87 euros ?
Chika Unigwe. C’était encore une des promesses électorales de Jonathan. Mais l’augmentation du salaire minimal dans l’économie formelle n’est pas encore effective. Et 87 euros, c’est encore trop peu. Le salaire minimal doit être porté à 145 euros.
Avec la hausse du prix des carburants, le citoyen va devoir économiser sur son générateur. Ainsi, il va toujours devoir faire le choix entre repasser, regarder la TV ou recharger son GSM. De même, le prix de l’électricité et des denrées alimentaires comme l’eau, la viande, la farine de manioc et le pain ont augmenté. Généralement, le salaire ne dépasse pas 48 euros. La vie va donc devenir plus dure. Il n’y a pas non plus de distribution d’eau convenable. Les gens doivent acheter des sacs d’eau qui leur coûtent environ 1 euro. Mais c’est trop cher, et les gens préfèrent tirer l’eau du sol. Pour une famille de trois personnes, la farine de manioc coûte 3,8 euros par semaine. Le prix de la viande est passé de 1,9 euro à 4,8. Un pain coûte 2 euros. Et, au Nigeria, il n’est pas question de sécurité sociale.
Les grands syndicats n’ont pas encore trouvé d’accord avec le gouvernement. Comment voyez-vous évoluer les protestations ?
Chika Unigwe. Même si un accord est trouvé, les protestations continueront. La population veut plus que le simple rétablissement des subsides aux carburants. On proteste aussi contre la corruption du gouvernement et contre la terreur de Boko Haram (mouvement terroriste islamiste). En fait, on proteste contre tout ce qui va mal. Maintenant, les manifestants exigent aussi la démission du président Jonathan et de ses ministres de l’Information, des Finances et des Affaires pétrolières.
En dehors des syndicats, y a-t-il encore d’autres forces qui organisent les protestations ?
Chika Unigwe. Les grands syndicats, comme le National Labour Congress et le petit Labour Party (social-démocrate) ne portent qu’en partie les protestations. De nombreux militants des Droits de l’homme et de mouvements religieux jouent un rôle prépondérant. Mais les protestations ont surtout éclaté de façon spontanée. Les syndicats au Nigeria ne sont pas en état de mobiliser des centaines de milliers de personnes. En fait, le mouvement s’est maintenant donné le nom de « Occupy Nigeria » et il est porté par de larges masses. À l’étranger, les Nigérians organisent aussi des manifestations Occupy. C’est surtout via Facebook que la mobilisation se fait. C’est ainsi qu’avec quelques dirigeants de la communauté nigériane, j’ai organisé une protestation devant l’ambassade du Nigeria à Bruxelles.
Existe-t-il une chance de voir naître un autre Nigeria ?
Chika Unigwe. Il y a beaucoup d’espoir. Mais il y a également des menaces. L’ancien ministre Mallam Nasir Ahmad El-Rufai (appelé aussi « le tsar des privatisations » et accusé d’avoir détourné 250 millions de dollars, NdlR) se profile comme alternative sur les chaînes de TV nigérianes.
Si les syndicats arrivent à un accord avec le gouvernement, ils pourront également atténuer en partie les protestations. Mais, tant que le peuple voudra protester, Occupy Nigeria continuera. Ils ont des perspectives claires pour un autre Nigeria, mais ne sont pas acceptés dans les négociations. On ne peut tout de même pas envoyer des centaines de milliers de personnes à Abuja pour négocier avec le président Jonathan.
Par David Van Peteghem le 20/01/2012 source Solidaire
Transmis par Linsay
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