L’IHU à Marseille, un haut lieu scientifique du service public et des questions.
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A titre personnel mais aussi collectivement dans le cadre de mon engagement politique et syndical je n’ai jamais voulu rentrer dans ces débats qui fleurissent sur les réseaux sociaux et qui peuvent donner l’impression que la France est un pays qui compte, depuis mars dernier, 60 millions d’infectiologues. J’ai même lu sur la toile des écrits de ces médecins autoproclamés expliquant pourquoi, s’ils habitaient Marseille, ils n’iraient surtout pas à l’IHU (Institut Hospitalo-Universitaire dirigé par Didier RAOULT) haut lieu du charlatanisme selon eux. J’avais bien des infos tout à fait contradictoires sur ce dernier point et émanant de camarades de la CGT de l’APHM (Assistance publique des hôpitaux de Marseille) mais n’étant pas médecin…
1er jour
Il se trouve que le mercredi 28 octobre, alors que je me mis à ressentir toux, fièvre et fatigue, j’appris par un camarade, dernière personne que j’avais vue, hormis ma famille, qu’il était malade et atteint de la fameuse COVID 19. Donc premier réflexe, appel de mon médecin qui est tout prêt à me faire une ordonnance pour un test PCR…à condition que je trouve un laboratoire disponible. Après plusieurs coups de fil je dois me rendre à l’évidence, aucun rendez-vous possible avant plusieurs jours ce qui dans mon cas, rend l’intérêt du test quasi nul si on veut prendre la maladie de vitesse et être soigné dès le départ.
J’appelle alors Guillaume, militant CGT hospitalier, il me conseille de me rendre le lendemain matin à la première heure à l’IHU sans rendez-vous.
2e jour
Me voilà donc le lendemain matin, dans la file d’attente (plus exactement dans l’une des files d’attente car selon votre situation vous êtes dans l’une ou l’autre file), celle des gens sans rendez-vous. Combien sommes-nous à attendre à 8h du matin ? 200 environ ? Quoiqu’il en soit le flot s’écoule grâce à un système efficace de filtrage alternant celles ou ceux qui ont rendez-vous et les autres. Après un peu plus de 2h je peux rentrer, montrer ma carte vitale, une pièce d’identité, donner mon numéro de téléphone et mon adresse électronique et passer le fameux test. Je ressors et selon les consignes que l’on m’a données, j’attends. Dans l’après-midi, par SMS et par courriel je suis prévenu que je suis positif. Le message de l’IHU donne de premières consignes me permettant d’aller voir mon médecin et m’indiquant que si je le désire je peux être suivi à l’IHU.
3e jour
J’y retourne le lendemain matin, toujours sans rendez-vous, on est vendredi et là je vais dans la file SUIVI COVID où patientent à peine une 20aine de personnes. Après un passage rapide au secrétariat je rentre dans l’espace réservé aux examens, un long couloir qui distribue des bureaux qui correspondent chacun à une salle d’examens spécialisés. Là, passant de pièce en pièce avec entretemps très peu d’attente dans le couloir, j’enchaine très rapidement : 1er bureau, questionnaire par un soignant sur ma situation générale et mes antécédents, 2e, prise de tension et mesure de la saturation en oxygène, 3e, prise de sang avec un nombre de tubes remplis qui est impressionnant, 4e , électrocardiogramme, 5e, consultation du médecin qui, au vu de mes résultats, appelle un cardiologue pour vérifier le traitement applicable dans mon cas (à l’IHU la chloroquine n’est pas prescrite dans 20% des cas), et enfin, après changement de bâtiment, scanner du poumon.
Lors de la visite du médecin, il m’est proposé le protocole classique de l’IHU, hydroxychloroquine, antibiotique et zinc en me précisant bien que je peux refuser la controversée chloroquine (ce qui est le cas semble-t-il de quelques patients) et on me fournit ensuite une ordonnance, une lettre pour mon médecin, un sachet contenant tous les médicaments nécessaires pour 10 jours tout cela (faut-il le souligner ?) fourni gratuitement par l’IHU comme tous les soins et examens dispensés par l’établissement. On me remet aussi une série d’ordonnances pour un traitement complémentaire au cas où les résultats sanguins montreraient la nécessité que je sois traité aux anticoagulants. Ce ne sera pas mon cas mais celui d’une personne de mon entourage, qui après appel d’un médecin de l’IHU le samedi matin, passera un angioscanner et bénéficiera du traitement complémentaire. Je rentre chez moi, il est 14h et je commence le traitement.
4e jour
La fièvre a notablement baissé. Restent de la fatigue et un mal de reins qui disparait avec du paracétamol pris en complément comme conseillé en cas de nécessité.
5e jour
La fièvre a disparu, le mal de reins aussi. Reste de la fatigue qui va se dissiper peu à peu les jours suivants.
7e jour
Retour à l’IHU, contrôle de la tension, de la teneur en oxygène, électrocardiogramme, nouveau test PCR. Tout va bien.
Qu’en conclure ?
Sur le plan médical j’entends déjà certains me dire que j’ai eu de la chance, que je fais partie de celles et ceux qui auraient guéri sans traitement, qu’il y a peut-être eu un effet placébo me concernant…etc.
Faisant partie de cette minorité de gens qui ne sont pas infectiologues, je n’en tirerai aucune conclusion médicale même si dès les premières heures d’administration du traitement j’ai senti une nette amélioration. Je n’ai aucune prétention de convaincre les adversaires résolus du protocole de l’IHU.
Comme on a beaucoup critiqué l’IHU, souvent en confondant la personnalité de son représentant médiatique avec le service en lui-même, ce dont je peux simplement témoigner c’est du sérieux, de la compétence et de la qualité du service public rendu par l’IHU.
Le point de vue de la CGT de l’APHM
J’en parle avec mes camarades Yves et Greg de la CGT du CHU Timone (centre hospitalier universitaire dont fait partie l’IHU) qui me confirment plusieurs choses.
« Personne ne remet en cause à la CGT, le sérieux et l’extrême compétence de ce service. Les personnels soignants de l’APHM qui sont positifs vont systématiquement se faire soigner (et très bien !) à l’IHU. La question de fond générale est qu’aujourd’hui les (quelques) financements octroyés à l’hôpital public ne correspondent plus aux besoins en soins de la population, mais sont le résultat de la course aux sponsors et aux appuis politiques ! De fait c’est une mise en concurrence des services entre eux et les services qui reçoivent des fonds, les reçoivent au détriment d’autres. C’est une logique qui n’a plus rien à voir avec le service public, dont les directions s’affranchissent de plus en plus. C’est la glorification de la concurrence libre et non faussée comme cela est vanté pour d’autres services publics comme le transport, l’énergie, la communication, l’éducation...qui est aux antipodes du droit garanti par le monopole public géré par et pour la population.
Dans ce contexte l’IHU est donc bien l’arbre qui cache la forêt carbonisée, et illustre, du point de vue de ses financements, le modèle libéral qui menace l’hôpital public...
Il y a aussi, concernant l’IHU, les méthodes de gestion du personnel que nous contestons.
Pour se démarquer des autres services de la Timone, la direction de l’IHU aime souvent parler de son "modèle" d’organisation qui n’est en fait rien d’autre que l’application de méthodes de management venues du privé :
Hiérarchie "resserrée" (traduction : concentrée et hyper verticale qui contrôle tout), méthode "positive" de motivation des équipes soignantes qui consiste à les "intégrer" à l’IHU, les faire se sentir à part (traduction : pressions et primes au "mérite", défiance syndicale +++), recrutement massif de "renforts" (traduction : CDD uniquement, flexibilité de la masse salariale), organisation du travail en 12h pour toujours plus de productivité.
Les agents de l’IHU ne sont pas plus "performants" que tous leurs collègues de l’AP-HM, ils ont le même niveau élevé de compétences mais plus de moyens...
La façon dont tu as été accueilli à l’IHU et qui est confirmée par tous les retours que nous avons, montre que l’hôpital pourrait être hyper efficace si on lui donnait de vrais moyens humains et matériels à la hauteur des besoins de santé d’un pays moderne mais vieillissant de 60 millions d’habitants ! »
Mes conclusions
J’ai pu aller me faire tester sans rendez-vous et avoir les résultats dans la journée car c’est un choix de l’IHU et il a su, dans cette jungle de la course aux financements, se donner les moyens pour ce faire.
Si j’ai finalement très peu attendu lors de la journée d’examens, c’est qu’il y a d’abord un personnel en grand nombre, que le service est très bien organisé et qu’il s’appuie sur le CHU.
N’y a-t-il pas là des conclusions à tirer pour l’ensemble de notre système de soins ?
Ce que je me dis au sortir de cette expérience c’est qu’il faudrait que chaque grande ville dispose d’un outil public, financé par le public et comparable à l’IHU par ses moyens. Cette mise en oeuvre relevant d’un choix de politique de santé, elle allègerait considérablement la charge des médecins traitants et des laboratoires qui devraient d’ailleurs tous être publics qu’ils soient d’analyse ou fabricants pharmaceutiques afin que la nation détermine ses priorités, question particulièrement impérieuse en cas de crise…Et on ne parlerait pas de confinement...
Dans un pays qui a supprimé 100 000 lits en 20 ans au point d’arriver péniblement à la 20e place mondiale pour le nombre de lits, soit 6,5 par 1000 habitants [1] la pandémie actuelle met en évidence le fait qu’il manque un vrai service public de santé et de sécurité sociale digne de ce qui a été mis en perspective en 1945 et que le grand patronat n’a jamais accepté visant depuis cette date un système d’assurances privées, une industrie pharmaceutique ayant le profit comme critère de gestion et choix des productions et une privatisation complète des établissements de soins.
Tout le contraire de ce que peut permettre un service public que le service rendu par l’IHU de Marseille laisse entrevoir.
En médaillon, une manif devant le CHU lors des mardis de la colère qui ont précédé le Ségur de la santé
[1] et encore ce chiffre date de 2013 et ne tient donc pas compte des suppressions intervenues depuis ni des perspectives puisqu’il est prévu d’arriver à 4,96 en 2025
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