Le regard et la peur
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Il me semble avoir appris que l’homme est devenu humain en se redressant, en libérant sa main, en portant son regard sur l’horizon et en ouvrant une multitude de chemins à son corps.
Le sanglier, lui, ne dévie jamais de sa trajectoire, en tous les cas c’est ce qu’on dit dans mes montagnes !
Les fauves, je crois, ne peuvent supporter d’être regardés dans les yeux, quant à l’autruche nous savons tous où elle enfouit sa tête : tient-elle alors ses yeux ouverts ?
Pour ce qui est de la chauve-souris, point besoin du regard pour éviter l’obstacle : son radar vaut bien nos GPS !
J’ai oublié la star et ses yeux cachés derrières des lunettes noires de plus en plus hypertrophiées qui font penser à la mouche : voit-elle aussi derrière elle lorsqu’elle regarde les défilés de mode ?
Je déduis de ce très bref panorama zoologique que seul l’homme utilise le regard pour croiser ses congénères sans dommage, souplement et si possible avec le sourire !
Pourtant, depuis quelques mois, je remarque avec tristesse que je croise de moins en moins de regards au cœur même de la foule des trottoirs parisiens ou des couloirs du métropolitain !
Que nous arrive-t-il ?
Certes, je n’espère plus à mon âge troubler le passant et mériter l’hommage du poète chanté par Georges Brassens :
« A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu’on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu’on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main »
Mais de là à se croiser sans jamais se regarder dans les yeux,
à foncer comme des sangliers, corps devenu bélier, visages emmurés dans les brumes de la solitude, non, je ne m’y résous pas !
Avec mon regard de myope, avide de la rencontre, même fugitive, je deviens suspecte, je risque la question agressive à tout instant.
Le pire, c’est peut-être d’être transformée tout à coup en fantôme, en corps invisible traversé par des yeux qui ne vous voient pas !
Quel plaisir reste-t-il à la rue, à la foule si elle ne regarde plus, si se croiser se résume au mieux à s’éviter,
De quelle humanité veut-on nous chasser en nous apprenant à ne plus nous regarder, à ne plus nous voir ?
Mais j’ai l’impression qu’on ne lève plus beaucoup la tête, qu’on ne regarde plus le ciel par-dessus les toits.
Nos yeux sont au niveau des genoux, quand ce n’est pas des pieds ou des rigoles !
Je préfère la bousculade à l’évitement, l’échec de la rencontre à la fuite.
Je ne veux plus de foules aveugles glissant dans des coulées de murailles invisibles.
Avons-nous vraiment besoin de GPS, d’oreillettes en tout genre, prothèses de nos sens ?
Et si c’était la peur ?
La peur de qui, de quoi ?
Et si la peur venait justement de ce regard impossible à soutenir ?
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