Saint-Pétersbourg : nouvelle capitale du racisme.
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A deux mois du sommet du G8, en juillet prochain, l’ex-Leningrad est frappée par une impressionnante série de crimes racistes que les autorités s’évertuent à nier...
Depuis plus de deux ans, Saint-Pétersbourg est le théâtre d’une série d’agressions et de meurtres de Caucasiens, d’Asiatiques et d’Africains. Ceux qui dénonçaient ces violences en sont devenus eux aussi les victimes.
La série noire a commencé en septembre 2003 avec le meurtre, par des skinheads, d’une petite Tsigane de 6 ans.
En février 2004, une petite Tadjike de 9 ans, Khourcheda Soultanova, est assassinée de 11 coups de couteau par une bande d’adolescents
Le 19 juin 2005, c’est Nikolaï Guirenko, un éminent ethnographe spécialiste de l’Afrique , expert judiciaire dans plusieurs affaires de crimes racistes, qui est abattu par un professionnel d’une balle de fusil à pompe tirée à travers la porte de son appartement.
Le 13 octobre, Vu An Tuan, un étudiant vietnamien, meurt en plein centre-ville, lardé de 37 coups de couteau par un groupe d’adolescents.
Un mois plus tard, Timour Katcharava, un jeune musicien de rock antifasciste, d’origine géorgienne, est exécuté à deux pas de la perpestive Nevski, suivi par Léon Kankhem, un Camerounais , le 24 décembre.
En février 2006, c’est une jeune femme Kazakhe, Ainur Boulek-baeva, qui est tuée à coups de couteau par trois adolescents.
A l’aube d’un jour d’avril 2006, en plein centre de Saint-Pétersbourg, Samba Lampsar Sall, un sénégalais de 28 ans, a été tué d’une balle dans la tête, à la sortie d’une boite de nuit. Avant de prendre la fuite,le meurtrier a abandonné l’arme du crime, un fusil à pompe décoré d’une croix gammée.
Détail effrayant dans l’ex-Leningrad, décrété « ville-héroïne », à l’époque soviétique pour avoir subi, entre septembre 1941 et janvier 1944, un terrible siège de l’armée allemande.
Dans la plupart de ces affaires criminelles, les assassins courent toujours, ou ont été jugés pour simple « hooliganisme ».
Valentina Matvienko, la gouverneur de la ville, elle, s’obstine à nier tout racisme chez ses administrés, estimant que les étrangers ne sont que des victimes parmi d’autres d’une criminalité galopante.
Mais pour Nikolaï Androuchtchenko, éditorialiste à l’hebdomadaire d’extrême droite Novy Peterburg, le meutre de Samba Lampsar Sall est une « provocation de forces bien organisées, destinée à déclencher les passions nationalistes, à quelques mois du sommet du G8 ».
La preuve ? « Seul un imbécile pourrait croire que les skinheads locaux ont les moyens de s’offrir des armes à 2 000 dollars puis de les jeter ! ».
Iouri Nercessov, un journaliste de la même tendance, renchérit, un tantinet provocateur : « Je m’étonne qu’ils n’aient pas aussi laissé sur place un exemplaire dédicacé de Mein Kampf ! ». Pour lui, les crimes ne sont pas signés par un groupe nazi, mais il s’agit bien d’« une machination orchestrée d’en haut ».
MANIPULATION ?
Même analyse de Piotr Prokhorenko, chargé des relations avec les étrangers au gouvernorat de Saint-Pétersbourg : « Cette série de meurtre d’étrangers dans notre ville a évidemment un caractère organisé. Son but est de déstabiliser la situation, mais nous ignorons d’où vient la manipulation. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à la veille du sommet du G8 à Saint-Pétersbourg en juillet prochain, les autorités locales sont fort embarrassées par l’étiquette « capitale du crime raciste en Russie » collée par la presse.
Même si le chef de la police, Mikhaïl Vanichkine, se déclare « très contrarié », il s’est lui-même fâcheusement distingué par ses commentaires au lendemain de l’assassinat de l’étudiant sénégalais : « Ces noirs ne payent pas leur loyer, mais ils vont dans les boites de nuit ! »
AGGRAVATION DU PHENOMENE.
« Combien de fois me suis-je entendu dire au poste de police : »Hé, toi, le chef gorille viens ici !« , raconte Aliu Tunkara, président de l’Unité africaine, une association regroupant les Africains de Saint-Pétersbourg. »A Moscou, nous pouvons nous adresser à notre ambassade, qui réagit immédiatement s’il nous arrive quelque chose, mais pas ici« , raconte-t-il, déplorant le peu d’empressement de la police à enregistrer les plaintes. »Je n’ose plus me promener seul. Je me suis déjà fait insulter dans la rue, et prier de rentrer dans mon pays« , avoue un jeune Colombien, chef cuisinier dans un grand hôtel.Un de ses amis, d’origine caucasienne, a été attaqué dans le métro par plusieurs dizaines de voyous, aux cris d’ »opération wagon blanc ! Noirs dehors !"
Le commando a battu et dévalisé tous les voyageurs qui ne leur semblaient pas assez pâles de peau.
Résident à Saint-Pétersbourg depuis quinze ans, Enoch Iyamuremye, Rwandais de 40 ans, marié et père de deux petites filles, ne peut que constater l’aggravation du phénomène : « En 1990, personne n’aurait osé toucher à un étranger. Aujourd’hui, on nous crache dessus,on nous jette des bouteilles ; on nous frappe en plein jour et devant tout le monde !La situation devient catastrophique. » A l’en croire, « les Russes sont majoritairement indifférents au thème de la lutte contre le racisme ».
Désiré Deffo, vice président de l’Union africaine, se souvient, quant à lui, qu’au temps de l’URRS « le racisme existait mais n’était pas agressif. Les gens prenaient des précautions avant de vous insulter. Aujourd’hui, dans cette démocratie balbutiante, ils pensent qu’ils ont le droit de dire ce qu’ils pensent ».
Eyo, 21 ans, Nigérian et étudiant en télécommunications, avoue son effroi : « Pour des raisons de sécurité, je ne prends plus le métro. Sa camarade, Hadiza, 23 ans, renchérit : »Ici on se fait traiter de « singe » tout le temps et la police n’intervient pas.
Pourquoi sont-ils parvenus à mettre un terme à la prostitution des rues et n’ont-ils pas réglé le problème des skinheads ? Bientôt, les boursiers africains ne voudront plus venir en Russie.!
BOUCS EMISSAIRES COMMODES !
Le discours antiraciste n’est pas de mise dans la Russie de Vladimir Poutine. « Notre pays tout entier est raciste », analyse le sociologue Viktor Voronkof, directeur du Centre poir une recherche sociale indépendante. Selon lui, « le système qui définit les gens selon leur communauté, avec des stéréotypes négatifs, est raciste. Les sociologues soviétiques ont engendré un discours ethnique, qui a toujours insisté sur les différences entre les peuples ».
Dans la presse note Voronkof,il est toujours précisé que le criminel est arménien ou tchétchène...Comment dans ces conditions, s’étonner de l’hostilité envers les Caucasiens, tour à tour désignés comme terroristes ou mafieux ? « Désormais observe le sociologue, le Caucasien a remplacé le juif comme ennemi public ».
Police et justice n’échappent pas à ces préjugés. Elles ont même une fâcheuse tendance à camoufler sous le vocable d’« hooliganisme » les crimes racistes qui leur sont notifiés, poursuit Voronkof.
Occupées à dénoncer la « campagne de dénigrement » contre Saint-Pétersbourg, les autorités laissent les sites néo-fascistes pulluler sur Internet : baptisés « Union slave » (Slaviansky Soyouz, initiale SS), « Patrouille blanche » ( qui a mis en ligne un « mode d’emploi pour instaurer la terreur urbaine »), « Energie blanche », « Dernière heure », « Cerbère de la liberté », « Défense nationale » ou « Autodéfense civile », ils distillent en toute impunité haine et appels au meurtre.
« On trouve ici en vente libre des livres sur l’inégalité des races, comme au temps d’Hitler, s’insurge Youri Vdovine, vice président de l’ONG Citizen’s Watch. Nous avons envoyé au parquet une expertise concernant cinq livres racistes. Aucune réaction. Pourtant, notre législation est tout à fait suffisante pour engager des poursuites. »
Selon lui, la passivité des autorités n’est pas due au hasard. « Nos dirigeants ferment les yeux, car cela leur évite de devoir répondre aux graves problèmes sociaux de la population. Les étrangers sont donc des boucs émissaires commodes ! »
Tous les sondages confirment la montée des sentiments xénophobes. Selon une étude du Moscow Bureau For Human Rights, de 50 à 60% de la population adhère aux slogans nationalistes du type « la Russie aux Russes ».
Les premiers à inspirer le rejet, précise l’étude, sont les Caucasiens (et avant tout les Tchétchènes), suivis par les migrants d’Asie centrale, puis les Chinois. En quatrième position viennent les Juifs. Représentante d’une communauté juive qui compte aujourd’hui 100 000 âmes (contre 150 000 au temps de l’URRSS) Evguenia Lvova ne cache pas son inquiétude.
« Bien sûr, nous sentons cette montée xénophobe dans la société, même si nous ne sommes pas en première ligne. Sur fond de criminalité la partie la plus défavorisée de la population, fatiguée, insécurisée et sous-éduquée, cherche un coupable ».
La communauté arménienne se sent aussi visée. Commémorant le 86e anniversaire du génocide, le 24 avril dernier, son dirigeant Viatcheslav Lazarian rappelle que les Arméniens représentent la plus importante diaspora en Russie. « Nous sommes 2,5 millions, soit plus qu’en Arménie... »
La veille, en plein jour, dans une station de métro du centre de Moscou, Viguen Abramiants, un étudiant arménien de 17 ans, était assassiné d’un coup de couteau...
« Pour lutter contre la peste, il faut d’abord la nommer », tranche Irina Fligue, directrice de l’antenne pétersbourgeoise de l’ONG Memorial. Dans une lettre ouverte à la gouverneur de la ville, intitulée « Le fascisme à Saint-Pétersbourg, une honte pour la Russie », elle recense et analyse les crimes racistes des trentes derniers mois signés par « une ou plusieurs organisations terroristes nazies ».
Elle appelle les autorités à prendre « clairement position » et attend, sans grande illusion, un fragment de réponse.
D’après un article paru dans « Marianne » et transmis par Linsay
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