Indignée sur le tarmac social

vendredi 30 décembre 2011
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Après leurs deux succès en justice, et face à Air France qui s’arque boute, les 45 jeunes CDD d’Air France (voir articles précédents dans cette rubrique et en page accueil de Rouge Midi) ne se résignent pas. Bien au contraire.

Si vous ne l’avez déjà fait et avant toute chose : signez la pétition de soutien

Deux mois qu’elle dort sous une tente. Pas toutes les nuits, heureusement. Elle reconnaît volontiers qu’elle « s’autorise » un vrai lit de temps à autre. Elle, c’est Jessica Doll. 23 ans. Brune aux yeux noisette. L’une des 45 indignés d’Air France qui campent depuis 62 jours à l’aérogare de Campo dell’Oro et, pour ce qui la concerne, à Poretta. Un conflit social unique en Corse mais aussi dans l’hexagone. Rarement de jeunes précaires se sont montrés aussi déterminés et tout à la fois respectueux dans la volonté de faire-valoir leurs droits, de mener une lutte commune. Quoique précaire n’est pas le terme exact puisqu’ils sont, après décision de justice, d’authentiques salariés d’Air France.
Alors, lorsqu’au détour du bar de l’aéroport, Jessica croise des salariés titulaires de la compagnie, son regard ne s’attarde pas. Elle sait qu’ils sont solidaires. Et que, peut-être elle sera des leurs sous peu.

Une dame qui apporte des crêpes à 8 heures du matin

« Ce serait génial si nous arrivions à nos fins en cette période non ? Moi, c’est mon rêve de faire partie de cette compagnie. Depuis longtemps. J’ai passé le certificat de formation à la sécurité pour être hôtesse parce que je voulais voyager au long cours. Le truc ultime ce serait de faire ce métier et de vivre en Corse… C’est pour ça que je me bats et que l’on se bat tous. Nous en sommes à 62 jours de campement. C’est vrai que physiquement, nous accusons un peu le coup parce que se lever tous les jours à 5 heures, c’est usant, très difficile sur huit semaines. En revanche, le moral est encore très bon. La réaction des familles des indignés est, à ce titre, vraiment dynamisante, ça nous booste d’entendre ces mots de réconfort. Figurez-vous qu’un matin, une dame était là à 8 heures pour nous apporter des crêpes ! C’était un geste simple mais beau. »

Tandis qu’un quatuor de garçons tape le carton pour littéralement tuer le temps, Jessica discute avec Olivia, François. Les journées restent longues dans l’aérogare, rythmées par la préparation des repas, quelques jeux et d’interminables discussions. Il se passe quelque chose d’imperceptible dans les aérogares corses : un conflit pareil laissera des traces dans ces jeunes esprits. À 23 ans, une telle expérience peut-elle pour autant faire naître une conscience politique ?

« L’état de notre société… »

« Je reste en tout cas persuadée qu’il y a une justice à deux vitesses. Certes, Air France a été condamnée mais cela ne va pas plus loin… Par contre, si vous êtes automobiliste que vous dépassez la vitesse autorisée, vous vous retrouvez devant un tribunal. Si vous ne payez pas votre loyer, on vous met dehors ! Sans attendre. J’en sais quelque chose puisque j’ai été obligée de quitter mon logement pour retourner chez mes grands-parents quand je ne suis pas ici ! Je ne me suis pas fait une raison politique avec ce conflit : pour moi, ni la gauche, ni la droite, ni l’extrême-gauche ou l’extrême-droite ne peuvent changer quoi que ce soit dans l’état de notre société. En fait, nous avons vu que ceux qui dirigent un pays, ce ne sont plus les présidents élus mais plutôt des firmes comme Total ou les banques. Le pouvoir, il est là. Je reste étonnée de constater qu’une société peut ne pas faire appliquer ses propres règlements en matière de contrats de travail sans qu’aucune autorité ne la force. »

Indignée et agacée, Jessica conserve paradoxalement le sourire de ses 23 ans. C’est bien la marque de leur combat : faire tout dans les règles, ne pas se mettre hors-la-loi et garder le moral, sans violence.

Une jeunesse qui a très peur pour son avenir

« J’ai bossé en usine sur le Continent, j’ai touché du doigt la précarité des petits boulots. On est dans un monde où les emplois que l’on propose aux jeunes sont sans perspective, sans avancement, sans carrière en fait. Les jeunes sont-ils destinés à être des éternels réservistes, condamnés aux boîtes d’intérim ? Mon grand-père travaillait à la Macotab, à Furiani. Il a commencé en tant que technicien de machine et il a fini directeur adjoint ! Je n’ai pas l’impression qu’une telle évolution soit possible pour notre génération. C’est très grave. On n’arrive pas à se projeter dans l’avenir, à imaginer un salaire de départ qui pourrait, normalement, s’améliorer avec l’ancienneté, l’expérience… »

Dans une des quinze tentes alignées comme dans un camp de réfugiés, Jessica tire un pull-over. Elle va faire quelques pas dehors afin de respirer autre chose que l’air climatisé de l’aérogare. Devant le parking des deux-roues trône le barbecue des indignés. Peut-être servira-t-il une fois de plus pour le réveillon du 31. En tout cas la Noël avait déjà un goût particulier pour Jessica : seule mais pas malheureuse pour autant. Enfin, du moins ne l’avoue-t-elle pas.

« On pense faire la Saint-Sylvestre tous ensemble. Du moins, on en discute. Il faut que l’on tienne le coup. Soixante-deux jours de campement, c’est beaucoup, nous sommes allés loin dans notre volonté. Et comme nous sommes au même point qu’au premier jour, finalement, nous n’abandonnerons pas. Nous sommes prêts à négocier. Pour notre travail. Pour notre vie en fait… »

Il n’y aurait pas trente-six manières de souhaiter une bonne année à ses 45 jeunes insulaires. Les voir obtenir ce job ne serait pas seulement une victoire sociale. Il y aurait aussi un sacré message d’espoir, une bulle d’oxygène, dans un état des lieux plutôt sinistre en 2011 et qui ne s’annonce pas forcément plus rose pour 2012. Jessica Doll veut y croire. Indignée parmi les indignés, elle aura, avec ses camarades, immanquablement marqué l’actualité 2011.

Interview parue sur Corse matin du 28 décembre

Un dernier rappel : avez vous signé la pétition ?




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