La nationalisation de YPF, filiale de Repsol (1), par le gouvernement argentin
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Le capitalisme espagnol est horrifié par la récupération au nom du peuple argentin d’une compagnie qui fut longtemps compagnie publique argentine et qui, depuis la privatisation, exploite les richesses du sous sol argentin pour le plus grand profit de quelques actionnaires...
Quelques précisions historiques et économiques parues d’Alberto Garzon et traduites par Gérard.
Le gouvernement d’Argentine, présidé par Cristina Fernandez de Kirchner, a confirmé les rumeurs de ces derniers jours, et a annoncé la nationalisation de l’entreprise YPF, filiale de la multinationale REPSOL. Dans ce texte, nous compilons l’information la plus importante que nous avons publié ces jours-ci sur cette question.
En premier lieu, il convient d’apporter quelques éclaircissements au sujet de la mesure, car pour le moment les informations sont imprécises. On parle autant d’ « expropriation » que de « nationalisation » et d’ « achat », sans préciser beaucoup plus. Les définitions sont importantes et doivent accompagner les concepts, mais pour le moment l’information disponible nous indique qu’il s’agit, effectivement, d’une nationalisation, - par conséquent payée, mais sans prix connu pour le moment,- de la part du gouvernement argentin. Il ne s’agit pas d’une décision volontaire des deux parties, mais d’une décision unilatérale qui, néanmoins, assigne un prix à l’entité pour son acquisition.
En second lieu, l’histoire est importante. YPF a été fondée en 1922 par l’Etat argentin et a été propriété publique jusqu’en 1992, quand commença le processus de privatisation appuyé par les organismes internationaux - spécialement le Fonds Monétaire International - dans le cadre des plans d’ajustement. L’entreprise a enfin été privatisée en 1999 quand Repsol - autre entreprise qui fut dans un autre temps publique, dans ce cas espagnole - prit la majorité des actions de YPF.
Durant l’étape de la « substitution aux importations » - à partir des années 30 - YPF joua un rôle fondamental dans la restructuration de l’économie argentine. L’influence des auteurs dépendantistes et néo-marxistes conduisit l’Argentine à une structure économique qui la situa parmi les pays les plus avancés du monde après la guerre, attirant une grande partie des réfugiés de la seconde guerre mondiale. Son modèle d’exportation de matières premières fut progressivement remplacé par un autre dans lequel l’industrie jouait un rôle crucial, fournissant un modèle de croissance plus solide qui permit des conditions de travail stables et un début de système de protection sociale.
Après la dictature militaire et la crise structurelle des années 70 et 80, le gouvernement argentin de Carlos Menem fut le responsable de la privatisation, et ce sont les politiques du Consensus de Washington qui inspirèrent ce processus. En même temps que cette privatisation furent engagées des réformes structurelles qui menèrent à la privatisation des fonds de pension, des réformes dans le marché du travail qui précarisèrent les conditions de travail et d’autres réformes qui conduisirent à la très grave crise de 2000. C’est seulement quand l’Argentine se rebella contre le FMI et ses plans d’ajustement, incluant une remise de la dette, - ne pas payer une partie de la dette externe -, que le pays parvint à surmonter cette situation.
En quatrième lieu, Repsol n’est pas techniquement une entreprise espagnole, et ni dans l’absolu propriété de tous les Espagnols. Plus de 50% de la multinationale est propriété du capital étranger (42% appartiennent à des fonds d’investissement étrangers - gérés habituellement par de grandes banques - et 9,5% appartiennent à l’entreprise mexicaine PEMEX). Le reste de l’entreprise est propriété du groupe de capital privé espagnol Sacyr (10%), d’une entité financière espagnole comme Caixabank (12,83%) et d’autres capitaux privés espagnols.
En cinquième lieu, Repsol apporte des bénéfices à l’économie espagnole que l’on peut considérer comme insignifiants. Repsol déclare en Espagne 25% de ses bénéfices totaux mondiaux, et en 2010 a payé des impôts en Espagne pour 949 millions d’euros au taux effectif de 26,8%. Cela veut dire qu’elle ne paie même pas les 30% qui correspondent au taux nominal des impôts en Espagne. Repsol paye un autre type d’impôts dans les pays où elle opère, comme l’Argentine et la Libye, mais aussi réalise des opérations dans les paradis fiscaux. Et dans ce dernier cas ses opérations financières ne sont pas comptabilisées en Espagne.
En sixième lieu, la croissance et le développement de Repsol - qui doit beaucoup à la privatisation argentine de YPF - n’est pas également bénéficiaire à toutes les parties qui constituent la multinationale. Pendant que les bénéfices comptables ont augmenté de 11,97% entre 1998 et 2007, le salaire moyen a augmenté de seulement 1,71%. Cela signifie que la plus grande part des bénéfices a été aux actionnaires privés - principalement des grandes entreprises étrangères et espagnoles - et non à ses travailleurs.
En septième lieu, Repsol-YPF en tant qu’entreprise privée recherche seulement le maximum de bénéfices à court terme - pour ses actionnaires - sans que sa stratégie entrepreneuriale ne s’aligne nécessairement sur la stratégie de développement de l’économie argentine. C’est précisément une des raisons qui a déterminé le gouvernement argentin à désirer récupérer l’entreprise, pour pouvoir l’utiliser comme instrument effectif de développement.
En définitive, nous parlons d’un phénomène économique qui doit s’analyser d’un point de vue adéquat. Ce ne sont pas les intérêts de deux nations distinctes qui s’affrontent, mais les intérêts nationaux de l’Argentine et les intérêts économiques de sujets privés de diverses nationalités - et parmi elles, à un degré moindre, espagnoles. Par conséquent, c’est une tromperie de considérer cette mesure économique comme une attaque contre l’Espagne. C’est un achat légal, qui dans tous les cas pourrait être sous-évalué - nous le verrons - et qui affecte les intérêts de sujets économiques - grandes entreprises et banques - qui ne partagent pas les bénéfices avec le reste de la société.
Cela n’est pas la guerre des travailleurs espagnols. En tous cas il reste à savoir si la gestion de YPF, à partir de maintenant aux mains de l’Etat argentin, sera profitable pour les travailleurs argentins, ou si, au contraire, YPF sera un instrument au service des oligarchies argentines. Néanmoins, ce n’est pas le sujet qui nous occupe aujourd’hui.
C’est une honte que le gouvernement espagnol se pose en défenseur des intérêts des grandes entreprises espagnoles qui possèdent un capital minoritaire dans Repsol, au préjudice des intérêts nationaux d’un pays souverain comme l’Argentine. Plus encore quand cela se produit au moment où le gouvernement est en train d’effectuer des politiques d’austérité qui font peser le poids de la crise sur la population espagnole la plus défavorisée.
Pour le gouvernement du PP [1] le degré d’attention et d’aide apportée dépend de la taille de la bourse. Ce que devrait faire le PP, au lieu de protéger les intérêts des plus riches, c’est revoir sa politique économique et réfléchir si ce n’est pas une meilleure option de politique économique d’imiter l’Argentine en procédant à la récupération d’instruments politiques déterminés. Instruments qui devraient se mettre au service des Espagnols dans leur ensemble, et non à celui des plus riches qui ont la capacité pour spéculer sur les différents marchés financiers - parmi eux celui des actions.
Alberto Garzon
Traduit de l’espagnol par Gérard Jugant
Ndt
(1) Repsol est une compagnie pétrolière espagnole, particulièrement implantée en Amérique latine.
[1] Partido Popular (droite), au pouvoir en Espagne.
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