Le Paraguay repris en main par l’oligarchie
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Le 4 juillet dernier, l’hebdomadaire brésilien Veja — le plus influent d’Amérique latine — dénonçait une « tentative de coup d’Etat au Paraguay » : pas celle, réussie, ayant conduit à la destitution du M. Fernando Lugo, le 22 juin dernier (1) ; mais celle, ratée, du président vénézuélien Hugo Chávez qui aurait tenté de faire renverser le « nouveau président », M. Federico Franco.
Une opération « honteuse », proclamait la « Une » de la revue (2), qui semble ignorer que le renversement de M. Lugo a été condamné par plusieurs organismes de défense des droits de l’homme (dont la Fédération internationale des ligues de droits de l’homme [FIDG] et la Commission interaméricaine des droits de l’homme [CIDH])…
Malgré le soutien des grands médias privés de la région, le Paraguay se trouve isolé : seuls Taiwan et le Vatican reconnaissent pleinement le nouveau gouvernement. Le Marché commun du Sud (Mercosur) et l’Union des nations d’Amérique du Sud (Unasur) ont écarté le Paraguay de leurs enceintes en attendant le rétablissement de l’ordre démocratique : retour au pouvoir de M. Lugo ou nouvelles élections (prévues en 2013). L’activité commerciale commence à faiblir et la population craint une montée en flèche du prix des produits de base.
Moins de préoccupations du côté de l’oligarchie, qui a désormais repris l’intégralité du contrôle de l’administration. M. Lugo a été remplacé par son vice-président, M. Franco. Membre du Parti libéral radical authentique (PLRA, droite), ce dernier avait œuvré à la création de la vaste alliance ayant remporté le scrutin présidentiel d’avril 2008 ; il s’était néanmoins très vite employé à provoquer la destitution du président (3). Le PLRA a d’ailleurs quitté la coalition au pouvoir juste avant le 22 juin, de façon à se rallier aux autres partis politiques en vue de la destitution du président.
Les bénéficiaires du coup d’Etat se comptent en premier lieu parmi les grands cultivateurs de soja et les multinationales céréalières, dont Monsanto, Cargill et Rio Tinto Alcan : leurs porte-parole plus ou moins officiels font leur entrée au gouvernement :
Le nouveau ministre de l’économie, M. Manuel Ferreira, conseillait hier l’Union des corporations de la production (UGP), un puissant lobby rassemblant les grands cultivateurs de soja et les représentants de l’agrobusiness.
Le Service national de santé végétale et de semences (Senave) — qui régule et contrôle l’utilisation de pesticides et le type de semences autorisées dans le pays — sera désormais piloté par M. Jaime Ayala, qui dirige une société distribuant des pesticides (4). La première mesure du nouveau gouvernement a d’ailleurs été d’autoriser les (rares) semences génétiquement modifiées encore interdites sous la présidence Lugo.
M. Francisco Rivas (PLRA) se maintient au ministère de l’industrie, dont M. Diego Zavala, avocat et lobbyiste de la société canadienne Rio Tinto Alcan a été nommé vice-ministre. Tous deux défendent l’installation de l’entreprise minière au Paraguay, contre l’avis de l’ancien vice-ministre des mines et de l’énergie comme de la Commission nationale des entités hydroélectriques du ministère des affaires étrangères (5), qui dénonçaient la perspective de dégâts environnementaux conséquents et l’aberration du tarif subventionné concédé à la société. Avec l’arrivée au pouvoir, de MM. Rivas, Zavala et Franco — lequel avait accepté l’invitation de la multinationale pour visiter du 24 au 26 octobre 2010 (6) ses installations au Canada —, l’avenir s’annonce plus rose pour Rio Tinto Alcan : le gouvernement semble déterminé à signer un accord dans les plus brefs délais.
Du côté des médias privés locaux, contrôlés par des groupes économiques favorables au coup d’Etat et peu entravés par une conception trop exigeante de la déontologie, les articles interrogeant la destitution de M. Lugo sont rares. Ceux qui font référence à la mobilisation de la population pour exiger son retour, encore plus. Seuls les médias publics — la Télévision publique et la Radio Nationale du Paraguay — les ont évoquées. Ils ont par la suite fait l’objet de pressions, d’actes de censure et plusieurs journalistes ont été licenciés pour des raisons politiques. Fátima Rodríguez, de la télévision publique, a ainsi été remerciée : le nouveau ministre de la Communication, M. Martin Sannemann, lui reprochait son engagement contre le coup d’Etat — n’avait-elle pas été aperçue regardant des photos de manifestants anti-Franco sur son ordinateur ? Les manifestations contre le gouvernement se succèdent néanmoins, et les dirigeants politiques qui ont voté le limogeage de M. Lugo éprouvent les plus grandes difficultés à se déplacer sans faire l’objet de protestations populaires (7).
La répression que craignent les partisans de M. Lugo et tous ceux qui défendent l’ordre démocratique aurait-elle débuté ? Le 16 juillet, lors d’une marche contre les coupes budgétaires que vient d’annoncer le nouveau gouvernement dans les programmes sociaux, la police a chargé contre les manifestants. Une jeune artiste, Irene Codas, a été grièvement blessée. Environ trois cents personnes travaillant dans différents programmes sociaux mis en place par le gouvernement Lugo ont été licenciées. Auprès de la Commission parlementaire de l’Union Européenne présente dans le pays depuis lundi dernier, elles ont dénoncé ce qu’elles considèrent comme une forme de persécution politique (8).
Mais le coup d’Etat aurait-il été possible si le pouvoir de M. Lugo ne s’était pas avéré si faible ? En dépit d’une vingtaine de tentatives de destitution depuis 2008, ses partisans n’avaient pas — semble-t-il — anticipé une telle situation. En outre, M. Lugo n’a jamais souhaité miser sur une alliance forte avec les organisations populaires, les fédérations paysannes ou les partis de gauche. Ceux-ci l’avaient d’ailleurs trouvé plus qu’hésitant dans la mise en œuvre de la réforme agraire, promise lors de la campagne présidentielle de 2008. Mais malgré les critiques adressées au gouvernement de M. Lugo, la gauche, les mouvements sans terres et les groupes progressistes se sont rassemblées au sein du Front de défense de la démocratie (FDD), qui organise la mobilisation au sein du pays et à l’étranger.
Alors que le printemps démocratique de l’Amérique latine — qui semblait avoir mis un terme aux années de dictatures militaires et de régimes néolibéraux et autoritaires — semble menacé, faudra-t-il se contenter de déclarations du type de celle de l’Union européenne, qui exprime timidement sa « préoccupation », bien loin de la condamnation (quasi-) unanime des pays sud-américains (9) ?
Par Gustavo Zaracho le 19/07/ 2012
Transmis par Linsay
(1) Lire « Coup d’Etat au Paraguay », La valise diplomatique, 23 juin 2012.
(2) Duda Teixeira, « O golpe fracassado de Chávez no Paraguai », Veja, São Paulo, 4 juillet 2012.
(3) Lire François Musseau, « Coup d’Etat rampant au Paraguay », Le Monde diplomatique, mars 2010.
(4) « Denuncian que Franco nombró en Senave a un empresario de agroquímicos », E’A, 3 juillet 2012.
(5) Silvio Núñez, « Coup d’Etat au Paraguay : la multinationale Río Tinto à l’affût de l’énergie hydroélectrique », CADTM, 12 juillet 2012.
(6) « Río Tinto desea invertir US$ 2.500 millones », ABC Color, Asunción, 6 novembre 2010.
(7) Voir la vidéo publiée par le site E’A le 9 juillet 2012 : http://ea.com.py/video-asi-fue-escr...
(8) « Paraguayos denuncian persecucion y despidos masivos ante europarlamentarios », Telesurtv.net, 17 juillet 2012.
(9) Lire le communiqué (PDF) de l’Union européenne du 23 juin 2012.
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