Sécurité à Marseille
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Fauchées par des rafales de kalachnikov, retrouvées calcinées ou criblées de projectiles de gros calibre dans leur voiture... Depuis le début de l’année, treize personnes ont trouvé la mort dans une série de règlements de comptes souvent intervenus sur fond de trafic de stupéfiants. Mais si tout cela n’était que l’arbre qui cache la forêt des trafics de bien plus grande envergure !
« Marseille a un territoire trois ou quatre fois plus grand que Paris et il n’y a que trois cents agents de ville. Aussi, sur la Canebière, on vole et on détrousse les gens en plein jour. Il est évident que cela ne peut plus durer... »
C’était en 1907. Le tribun Georges Clemenceau haranguait les députés. Il plaidait pour une police plus mobile, mieux équipée, adaptée à la société moderne. L’année suivante, la police marseillaise était étatisée. Les effectifs augmentaient de 20 % et le budget faisait un bond de 70 %.
De quoi rêver. Car si aujourd’hui le discours sur l’insécurité n’a guère évolué en dehors du Grand Paris, de nombreuses villes, par la révision générale des polices voulue par Sarkozy, ont vu les effectifs de la police ou de la gendarmerie fondre de 10 à 40 %.
« Mais si, à Marseille et alentour, les tueries à l’arme de guerre n’étaient pas le mal lui-même mais le symptôme d’un drame plus profond ? Dans l’ensemble de la région Paca, des magistrats s’inquiètent en privé : pourquoi la police semble-t-elle paralysée face au banditisme ? » [1]
« Les économies du Nord représentent les plus grands marchés pour les biens et services produits par l’activité criminelle du Sud », souligne Antonio Maria Costa, le directeur de l’Office des nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), à l’occasion de la parution du rapport The Globalization of Crime : a Transnational Organized Crime Threat Assessment (TOCTA).
"Pourquoi n’y a-t-il plus de grosses saisies de cocaïne en Paca depuis deux ans ? Pourquoi les arrestations de gros truands échouent-elles régulièrement, les policiers faisant irruption à l’aube dans des planques récemment évacuées pour n’y trouver qu’un lit encore chaud ?" [2]
Répondre à ces questions, ce serait régler le problème de fond alors que se focaliser sur les kalachnikovs, apparaît le plus souvent comme un leurre, les questions importantes se situant ailleurs...
À qui profite le crime ?
Le rapport de l’ONU démontre ainsi la dimension mondiale de la criminalité et, accessoirement, le rôle de l’Europe dans ces transferts. Le fait que les produits et les services illicites soient destinés aux plus importants partenaires commerciaux n’est en définitive que la conséquence logique de l’augmentation énorme du volume des flux au plan mondial, le monde « souterrain » devenant inextricablement lié à l’économie globale... et inversement.
D’ailleurs, cette capillarité entre l’économie globale et le crime organisé est devenue tellement forte que des actions et des réponses isolées, d’Etats, ne suffisent plus. Et surtout le veulent-ils ?
« Quant à envoyer l’armée régler la question, qui peut prendre cette proposition au sérieux ? Jamais une armée n’est efficace contre des criminels noyés dans une population complice (l’économie souterraine) ou apeurée (loi du silence). Il ne s’agit pas ici de la bataille d’Alger mais de neutraliser de fort classiques bandes criminelles, face auxquelles une police vite et bien informée est efficace. Et que la police soit vite et bien informée est un problème de choix politique, de gouvernement, puisqu’en France la police est nationale ». [3]
Sans critiquer les outils traditionnels mis à la disposition des services de lutte contre la grande criminalité et le crime organisé, François Farcy et Jean-François Gayraud, tous deux policiers, plaident dans leur livre [4], pour l’introduction dans la sphère policière et judiciaire, du « renseignement criminel ». Ils veulent en tout cas ouvrir le débat car ils estiment que le renseignement n’a pas pour vocation à demeurer cantonné aux seules menaces anciennes, telles que l’espionnage ou le terrorisme.
Ainsi, en matière de lutte contre les bandes criminelles le gouvernement pourrait mettre la même ardeur qu’elle met avec les services spéciaux et la police française (mais trop souvent avec des arrières pensées politiques et malsaines) vis-à-vis des islamistes : du renseignement ciblé !
Car, lorsque l’on sera à même de connaître, précisément et assez tôt, ce que prépare le milieu, quand on découvrira qui le protège et qui l’informe, le problème sera en voie de résolution.
Capitalisme et argent sale
« Force est de constater, même si là n’est pas sa vocation, que la PJ française n’a aucune culture du renseignement, de la documentation et de l’analyse. Elle ne dispose guère davantage de spécialisation poussée sur les dossiers sur lesquels elle travaille. » [5] Comment, dans ces conditions espérer obtenir des résultats ?
Pour l’instant nous assistons encore une fois à un défilé de ministres aux décisions toujours plus démagogiques et ce ne sont pas 205 policiers et gendarmes de plus à Marseille qui feront la loi là où la misère fait la sienne. Et ce ne sont certainement pas eux non plus qui desserreront l’étau mafieux qui asphyxie Marseille jusqu’aux plus hautes instances politiques.
Les jeunes sans travail et peu éduqués qui s’engagent dans ces trafics trouvent le plus souvent la mort au bout du chemin. Cela rappelle les paroles d’une vieille chanson :
« Car les brigands qui sont cause des guerres, ne meurent jamais, on n’tue qu’les innocents ». [6]
Une lente évolution depuis Borsalino ! « Marseille a été en fait le lieu de création du premier empire criminel international, de la première globalisation criminelle dans l’histoire du monde. Cette organisation s’est constituée autour du trafic humain, de la prostitution, du trafic de stupéfiant, de la lutte contre les syndicats de dockers et de la complicité des élus locaux. Aujourd’hui à Marseille, il y a autant de règlements de compte qu’il y a un siècle. La situation ne s’est ni dégradée ni améliorée, mais elle a changé. Marseille vit maintenant une guerre de succession. Les grands caïds meurent petit à petit et de nouveaux sont arrivés notamment des caïds de banlieues ». Alain Bauer Consultant en sécurité |
Ceux qui profitent réellement de ces trafics sont hors d’atteinte et semblent même protégés. Le seul moyen de véritablement les combattre serait d’interdire les paradis fiscaux où ils blanchissent leur argent sale (Selon le rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, le blanchiment de l’argent sale est estimé à 1 600 milliards de dollars dans le monde en 2009, soit 2,7 % du PIB mondial).
C’est par la lutte contre le blanchiment des capitaux générés par le trafic local de drogue que les incitations à entrer dans ce type d’activité illégale seront ruinées.
« Paris a déjà fait un premier pas vers la création d’une véritable agence nationale de renseignement criminel, sous l’impulsion du directeur général de la police, Frédéric Péchenard » (Le Figaro du 05/10/2011).
Pourquoi nos élus ne réclament-ils pas la mise en place d’un véritable service de renseignement criminel sur notre région ?
Pourquoi les « affaires » traînent-elles en longueur ?
L’Union Européenne si prompte à punir les peuples qui ne respectent pas ses règles économiques, malgré quelques effets de manches, semble bien timorée dans ce domaine. Pourquoi ?
La réponse serait-elle dans la question ?
la_peniche
[1] Xavier Raufer (essayiste de droite, spécialisé dans la criminalité) in Valeurs Actuelles du 13 Septembre 2012.
[2] idem
[3] Idem
[4] Le Renseignement Criminel, François Fracy et jean-François Gayraud, CNRS Éditions
[5] Centre Français de Recherche sur le Renseignement.
[6] La butte Rouge, chanson anti-guerre de 1922 faisant référence à la Guerre de 14/18.
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