Iran, un échec pour le Guide et... pour la presse occidentale
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Avec 18 613 329 voix, soit plus de 50 % des suffrages exprimés, Hassan Rohani a été élu président de la République islamique dès le premier tour. Selon les chiffres officiels, la participation a été de 72,7 % et le candidat arrivé en deuxième position, Mohammad Baqer Qalibaf, le maire de Téhéran, n’a recueilli que 6 077 292 voix.
En élisant le candidat qui avait pris le plus de distance avec le système, les électeurs ont infligé un camouflet au Guide Ali Khamenei — sinon au régime. Les éléments conservateurs en ont pris acte. Tabnak, une agence de presse proche de ceux-ci, titre, le 15 juin, sur « une nécessaire défaite pour les “principalistes” » — c’est ainsi qu’est désigné le camp conservateur. Et d’écrire : « Les “principalistes” doivent comprendre qu’ils ont des comptes à rendre. Ils doivent savoir que l’ère durant laquelle ils monopolisaient les médias est terminée. »
Les électeurs ont aussi infligé un camouflet à la presse occidentale. Que n’avait-on entendu sur l’élection présidentielle ? Elle était jouée d’avance ; les électeurs ne se déplaceraient pas ; le régime avait bloqué toute possibilité de changement ; le Guide décidait de tout. Mais l’homme le plus proche de ce dernier, Said Jalili, n’a obtenu que 4 168 946 voix, arrivant en troisième position avec à peine plus de 11 % des suffrages. Depuis longtemps, ces médias occidentaux ont cessé de s’intéresser au pays réel, à sa vie politique et sociale, pour n’en retenir que des caricatures.
Même le débat sur le nucléaire entre les différents candidats, pourtant vif, n’a pas retenu une vraie attention. Oui, on débat en Iran, comme le confirment les critiques de Ali Akbar Velayati, un ancien ministre des affaires étrangères — proche lui aussi de Khamenei — qui a dénoncé la rigidité de Said Jalili sur la question nucléaire.
Bien sûr, ce débat se déroule dans un cadre étroit, en témoigne le refus d’accepter les candidatures à la présidence de certains prétendants, comme Hachemi Rafsandjani, ou comme celui soutenu par le président Mahmoud Ahmadinejad, Esfandiar Rahim Mashaie. Bien sûr, nombre d’opposants sont en prison et l’Iran est loin d’être un modèle de démocratie. Mais imagine-t-on une élection chez « notre » allié saoudien ? Imagine-t-on une élection chez « notre » allié jordanien, dont les résultats ne seraient pas connus d’avance ?
Sur les premières leçons de ce scrutin, on lira le toujours pertinent Juan Cole, « An Outbreak of Reasonableness in Tehran : Top Ten Conclusions from Iran’s Early Election Returns » (Informed comment, 15 juin). Lequel souligne la forte participation électorale, la défaite de Said Jalili, et les déclarations du nouvel élu sur le mouvement vert :
« J’étais conseiller à la sécurité nationale de l’Iran pendant seize ans, durant les administrations Rafsandjani et Khatami. Par conséquent, je sais comment faire face à des questions délicates. Si je suis élu, je ferai de mon mieux pour obtenir la libération de ceux qui ont été incarcérés à la suite des événements regrettables de 2009. Je sais que les pouvoirs constitutionnels du président en Iran ne s’étendent pas aux domaines qui sont en dehors de l’exécutif. Cependant, je suis tout à fait optimiste sur le fait de pouvoir rassembler, d’aller vers un nécessaire consensus national pour améliorer la situation actuelle de Moussavi et Karoubi [les deux dirigeants du mouvement vert assignés à résidence]. »
Dans le domaine de la politique étrangère aussi, Juan Cole reproduit cette déclaration de Rohani :
« La relation Iran-Etats-Unis est une question complexe et difficile. Une histoire amère, pleine de méfiance et d’animosité, sous-tend cette relation. C’est devenu une plaie chronique dont la guérison est difficile mais possible, à condition que règnent la bonne foi et le respect mutuel. (...) En tant que modéré, j’ai un plan par étapes pour désamorcer l’hostilité et ramener les choses à un état de tension gérable, et ensuite m’engager dans la promotion de l’interaction et du dialogue entre les deux peuples pour obtenir une détente, et enfin atteindre ce point de respect mutuel que les deux peuples méritent. »
Le rôle du président dans le domaine de la politique étrangère n’est pas négligeable, et l’ancien président Khatami avait d’ailleurs permis une ouverture sur la question nucléaire — à l’époque où la France et l’Union européenne n’étaient pas purement et simplement alignées sur les Etats-Unis —, et avait aussi normalisé ses relations avec les pays du Golfe. Comme l’explique Trita Parsi, « Iran’s election is neither free nor fair — but its outcome matters » (« Les élections en Iran ne sont ni libres ni équitables, mais leur résultat compte », The Globe and Mail, 13 juin) :
« Il ne s’agit pas seulement de Rohani, mais aussi du personnel qui va l’accompagner dans le gouvernement, remplir les principaux ministères et institutions et reconfigurer les conditions de prise de décision du régime. Quand Mahmoud Ahmadinejad est arrivé au pouvoir, en quelques mois il a mis à la retraite quatre-vingt des ambassadeurs les plus expérimentés et des personnalités parmi les plus qualifiées en politique étrangère. Beaucoup d’entre eux étaient pragmatiques et compétents et ont joué un rôle-clef dans les décisions les plus conciliantes de l’Iran, comme la collaboration avec les Etats-Unis en Afghanistan et la suspension de l’enrichissement [de l’uranium] en 2004. Ils ont été remplacés par des idéologues inexpérimentés mais fidèles à Ahmadinejad. Un renversement de cette tendance peut se révéler très précieux.
Ensuite, Rohani et son entourage ont une vision du monde différente de celle de M. Ahmadinejad et du Guide suprême. Bien qu’encore soupçonneuse et méfiante à l’égard de l’Occident, et décidée à obtenir gain de cause sur la question nucléaire, l’élite associée à Rohani ne voit pas le monde de manière manichéenne. Le monde extérieur peut être considéré comme hostile, mais des intérêts communs peuvent encore être trouvés avec lui. La collaboration est encore possible. Plutôt que d’insister sur l’idéologie et sur la résistance, cette élite se targue d’être pragmatique et intéressée d’abord par les résultats (bien sûr, dans le contexte de l’échiquier politique de la République islamique). Ce n’est pas une surprise si la plupart des arrangements conclus par l’Iran sur des questions sensibles ont été obtenus durant des périodes où ce courant dominait le processus de décision en Iran. »
Un dialogue des Etats-Unis avec l’Iran pourra-t-il s’ouvrir, en dépit de la propagande israélienne ?
Il est regrettable de penser que, encore une fois, la France laissera passer sa chance. Les obsessions anti-iraniennes du pouvoir et de ceux qui sont en charge du dossier (on observe une assez grande continuité entre la présidence Sarkozy et celle de Hollande de ce point de vue) se traduisent en effet dans tous les domaines, notamment dans le cas de la Syrie, par le refus de Paris de voir l’Iran participer aux négociations de Genève.
Par Alain Gresh le 17/06/2013
Transmis par Linsay
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