Mourir aux portes de l’Europe
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« Un nouveau drame de l’immigration », déclarent les présentateurs de télévision d’un air contrit : jeudi 3 octobre, le naufrage, au large de l’île italienne de Lampedusa, d’une embarcation partie de Libye et qui transportait de quatre cent cinquante à cinq cents migrants s’est soldé par la mort d’au moins trois cents personnes. Dans l’exposition d’esquisses cartographiques « Cartes en colère », Philippe Rekacewicz revenait, à partir de plusieurs figures, sur la « véritable stratégie de guerre » mise en œuvre par l’Europe pour contenir « l’envahisseur ». Extrait.
Cliquez sur les liens pour découvrir les cartes de Philippe Rekacewicz
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Le monde Interdit
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C’est étrange, cette peur paranoïaque de l’invasion, cette volonté de se « protéger » coûte que coûte de ces êtres humains qui, chaque année, prennent le chemin de l’exil vers les pays riches qu’ils imaginent terre d’espérance. Mais les riches ont décidé que cette humanité-là était indésirable.
Ils renforcent leurs frontières, dressent des barrières, construisent des murs toujours plus hauts. Une véritable stratégie de guerre mise en œuvre pour contenir « l’envahisseur ».
Par un effet d’entraînement, d’autres grands pays comme le Brésil, la Chine ou la Russie mettent aussi en place une « sanctuarisation intérieure » pour limiter les migrations économiques des régions pauvres vers les zones de forte croissance.
Ces obstacles physiques sont des outils efficaces pour criminaliser l’immigration et rendre acceptable l’emploi d’expressions inacceptables : « immigrant illégal ». On fait croire qu’ils transgressent la loi : grâce à ces nouveaux obstacles, juridiques ou physiques, on crée une nouvelle catégorie de délinquants : le migrant.
Au mépris du droit international et des valeurs universelles.
Les trois frontières de l’Europe
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Cette carte, nous l’avons dressée pour la première fois en 2003 grâce au méticuleux travail d’Olivier Clochard du laboratoire Migrinter à Poitiers. Nous mettons régulièrement à jour ce document et hélas, à chaque fois, nous devons rajouter des points noirs, grossir toujours plus les cercles rouges.
Le 1er janvier 1993, Gerry Johnson, un citoyen du Liberia – pays alors dévasté par une guerre civile meurtrière –, est découvert mort étouffé dans un wagon de marchandises à Feldkirch, en Autriche. Le 3 octobre 2013, un bateau coule près de l’île de Lampedusa avec 500 migrants à bord, la plupart originaires d’Afrique de l’Est. Entre ces deux dates et ces deux lieux, un peu plus de 17 300 autres migrants – estimation a minima d’une hécatombe ignorée – ont perdu la vie en tentant de rejoindre l’Europe, terre de la liberté et des droits de l’homme.
On meurt aussi en repartant, comme Marcus Omofuma, citoyen nigérian assassiné le 1er mai 1999 par trois policiers autrichiens sadiques dans un avion de la Balkan Air lors de son rapatriement forcé.
Géographie d’une humanité indésirable
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A l’Ouest les copains bienvenus chez nous, le portefeuille bien garni, et à l’Est, les indésirables, les gueux, le petit peuple du monde trop pauvre pour nous « mériter ». Symétrie presque parfaite : subsistent des îlots de pauvres à l’Ouest, des îlots de riches à l’Est.
Manichéen ?
A peine.
La géographie politique européenne des visas montre avec une certaine cruauté la vision européenne du monde, si peu généreuse. Il faudra que l’on m’explique ce qu’il y a de logique dans le fait que l’UE exige des ressortissants du Kosovo – Etat le plus pauvre de toute l’Europe – un visa hors de prix pour circuler dans l’Espace Schengen.
Il y a de multiples façons de partager le monde, les territoires, les régions. Que ce soit selon le principe des nations, du regroupement de nations, d’indicateurs socio-économiques ou politiques, ils nous rappellent avec cynisme ce que nous n’aimons pas voir de nous-même : notre égoïsme, notre violence. Nous feignons l’aide au développement, nous n’exportons chez les pauvres que des modèles inapplicables.
Et nous leur imposons des visas inaccessibles.
Pourtant l’Afrique pauvre, par exemple, offre aussi de la culture, de la musique et du théâtre. Des diplomates, des professeurs. Des étudiants, des travailleurs. Des écrivains. Autant d’êtres humains que l’Europe renvoie parfois ficelés comme des saucissons dans des avions, quand ce n’est pas dans des linceuls, lorsqu’ils ont échoué à obtenir un visa ou un titre de séjour.
Ce projet est largement basé sur le travail méticuleux réalisé par l’ONG United au Pays-Bas [1], sans qui cette boucherie resterait largement ignorée.
Philippe Rekacewicz
Le Monde Diplomatique
http://www.monde-diplomatique.fr/
Transmis par la_peniche
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