Comment suis-je devenue une sorcière à rôtir ?
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A peine tièdes, les bûchers sur lesquels furent immolées les dernières charrettes des Albigeois et des Cathares, commencèrent d’être instruits les procès en sorcellerie. [1]
Ils flambèrent de nouveau.
Deux siècles durant.
Les exécutions se pratiquaient en place publique, on venait de loin pour profiter de l’aubaine. Pour que ne soient pas trop incommodés les spectateurs, les bourreaux assaisonnaient le petit bois avec des herbes, les chairs brûlées dégageaient un fumet âcre et persistant.
Des centaines de milliers de femmes, le genre masculin fut très peu représenté, servirent de torches humaines et accompagnèrent de leur hurlement puis de leur grésillement la Renaissance qui vit naître et mûrir la rationalisme cartésien.
Le Moyen Age s’achevait, bientôt l’Amérique fut atteinte par des vaisseaux mus par le vent. L’Europe avait trouvé son Pérou et son Argentine et y puisait son or et son argent.
Les réseaux de circulation des métaux précieux s’étaient disloqués en faveur du flux transatlantique qui inonda le continent.
Cette fausse richesse monétaire a inondé un continent qui manquait de force de travail.
La peste de 1345-1349 avait amputé sa population de plus de son tiers. Le remodelage du paysage agricole avec le système des « enclosure » interdisait aux paysans pauvres l’usage des communaux pour le pâturage des bêtes et une culture vivrière d’appoint avait jeté sur les routes des vagabonds, des travailleurs itinérants et des chapardeurs.
La faim tenaillait les ventres et le régime alimentaire de très carné et abondant au Moyen Age se restreignit à la consommation aléatoire de pain et de produits de glanage.
En lisère de village, près des bois, vivaient de vieilles femmes seules, souvent veuves, et très pauvres. Elles rôdaient, mendiaient leur pitance et maugréaient quand lui étaient refusés le quignon de pain ou le morceau de beurre réclamés par son estomac vide.
Elle connaissait les vertus de certaines plantes, pouvait concocter des philtres, guérissait des plaies et à l’occasion fabriquait des anges en faisant passer des grossesses inopportunes. La conquête des ‘Indes occidentales’ s’était soldée par une inflation des prix des denrées de première nécessité. L’Etat et l’Eglise sont intervenus sur le corps des femmes en légiférant, punissant l’infanticide et la contraception de la peine capitale.
Les théories des économistes, les mercantilistes, considéraient qu’une démographie soutenue était une source de la richesse des nations. Il fallait extirper ce savoir-faire ancestral de régulation des naissances et disparurent alors les sages-femmes, des ‘docteurs’ en médecine masculins ont eu alors à gérer l’obstétrique à la place des matrones trop complaisantes à l’égard de grossesses dissimulée.
En 1487 parut le Marteau des sorcières, Malleus Maleficarum, ouvrage de démonologie de référence qui inspirera les Inquisiteurs dans la conduite de la condamnation sans autre preuve que les aveux, obtenus sous la torture. Abolie par le pape Nicolas Ier en 866, elle fut heureusement rétablie par le pape Innocent IV en 1252 pour lutter contre l’hérésie.
Sa rédaction [2] a permis de colliger des opinions de théologiens, juristes et médecins qui vont constituer une doxa, un ensemble de croyances qui vont constituer des faits indéniables et impossibles à interroger. C’est également un prototype de droit pénal applicable partout dans le Royaume, unification de principes juridiques d’Etats centralisés en formation.
Le style est de la plus pure rhétorique scolastique, les énoncés sous forme de questions et de réponses comportant des contradictions logiques et trempées dans une misogynie qui en est le socle. « Femina vient de Fe et minus, car toujours elle a et garde moins de foi. ».
Ainsi se constituait le prolétariat et se réalisait une accumulation ‘primitive’ du capitalisme naissant.
Une fois privatisés les biens communaux et disloquée la solidarité villageoise malgré nombre de révoltes paysannes et de jacqueries qui ont ébranlé le système plus d’une fois, les salaires des hommes furent abaissés alors que les femmes n’y avaient pas accès.
Elles ont contribué gratuitement à la reproduction de la force de travail.
D’emblée, le capitalisme naissant européen fut mondialisé
En Amérique conquise et plus ou moins pacifiée, par les armes, les populations furent soumises et contraintes de travailler comme esclaves dans les mines, les plantations et dans les ‘obrajes’, ateliers de confection artisanale. Du sucre était produit, de l’or était extrait et des textiles tissés quasiment gratuitement.
Les missionnaires furent très vite là, dès 1508, pour conforter les Rois catholiques dans l’exploitation et bientôt l’extermination des aborigènes.
Ils étaient polygames, se promenaient nus à peine revêtus d’un pagne, ignoraient la valeur marchande de leur production traditionnelle, ils étaient donc bestiaux et/ou diaboliques.
C’est entre 1550 et 1630 que l’Europe a allumé le plus de bûchers et simultanément à son entreprise d’élimination par le feu de vieilles femmes, reconnues comme l’Autre Absolu à une société en mutation tétanisée par la peur, elle étendait son pouvoir d’éradication des sociétés traditionnelles dans les colonies. L’Indigène est à la fois le bon sauvage et habité par le diable. La rupture écologique induite par l’arrivée des conquérants venus de la mer a produit chez les Indiens une mortalité qui a amputé leur population de 90% de son effectif.
Un autre prolétariat allait être importé depuis l’Afrique qui va connaître à cette occasion un dépeuplement considérable. Avec quatre victimes "collatérales" pour un esclave arrivé à destination, le continent noir a perdu 100 millions d’habitants entre le 16e et le 19e siècle. [3] L’Africain, fruit du commerce triangulaire n’est pas considéré comme un être humain. Cependant, il est demandé aux femmes africaines de se reproduire pour multiplier le matériel servant de main-d’œuvre ici aussi quasi-gratuite. Ainsi put se consolider les assises du capitalisme en phase d’accumulation première.
Le colon esclavagiste va se soucier des tenues vestimentaires des indigènes amérindiennes comme de celles qui survivent au voyage transatlantique et qu’il débarque des cales.
Recouvrir leur nudité est un impératif civilisateur
Il ne les humanisait pas entièrement cependant puisqu’elles étaient d’essence inférieure tout en étant un objet sexuel toujours disponible pour leur propriétaire.
Le déplacement des populations qui perdent leurs repères spatiaux est accompagné d’une extirpation de leur mode de vie antérieur, jusque dans la manière de recouvrir les corps.
En Europe, où les déplacements des populations ont succédé à la privatisation des communs, les procès en sorcellerie ont été le moyen spectaculaire, effrayant de la désappropriation des savoirs féminins sur leur corps, rendu irréversible par la rupture de la chaîne de transmission de cette science empirique millénaire.
L’intérêt acharné du colonisateur pour le vêtement de la femme colonisée s’est poursuivi.
La colonisation du Maghreb, la plus durable par la France de pays musulmans, a vu se multiplier des incitations au dévoilement de la femme arabe.
La soustraction du corps de la femme à sa visibilité dans l’espace public devait être révoquée, exactement comme la nudité de l’Amérindienne devait être dissimulée.
L’objectif inavoué, conscient ou non, est la maîtrise du corps des femmes, dépositaire de la tradition et sa transmettrice, la destruction de l’ordre symbolique de la société et son éclatement.
Toute une littérature occidentale a développé ce parti pris de considérer le voile qui couvre la chevelure des femmes, utilisé par l’ensemble du monde méditerranéen depuis des millénaires, comme un symptôme de soumission des femmes à un ordre patriarcal réactionnaire.
Mais on trouve l’affirmation que le recouvrement des cheveux féminins est le signe de la soumission légitime de la femme à l’homme chez Saint-Paul dans l’épitre aux Corinthiens, ce qui a alimenté l’inconscient collectif européen jusqu’à maintenant. Elle a la consistance d’une hypocrisie sans nom ou au moins d’un aveuglement sur le traitement des femmes en terre européenne dont le moindre des signes est l’inégalité des salaires pour un travail égal avec les hommes et le régime de la double peine, subir le patron et le compagnon.
Depuis le temps révolu des colonies, les femmes arabes se sont déshabillées, puis rhabillées.
Un bon nombre de filles et de petites filles de femmes arabes « émancipées » n’ont trouvé aucun bénéfice à porter la minijupe dessinée par des couturiers hommes qui n’aiment pas les femmes. Elles ont renoué avec un passé dans lequel elles puisent du sens et ont reposé un fichu sur leur tête tout en rallongeant leur robe.
Dans cette France d’ancienne monarchie absolue (cujus regio ejus religio) où le sujet est tenu d’adopter la religion y compris dans son paraître d’un souverain - lequel reste à définir- cet écart à la norme est insupportable. Le souverain aux contours peu précis s’apparente à la main invisible du Marché, celle-ci dicte la consommation et l’aspect de la majorité par toutes sortes de vecteurs.
L’hystérie développée autour de trois jeunes filles qui ont refusé d’ôter leur couvre-cheveux à Creil en 1989 a bien sûr d’autres fondements. En aucun cas, il n’y avait contravention à la séparation de l’Eglise, à qui fut retirée en 1905 la responsabilité de l’Instruction publique, et de l’Etat qui est devenu depuis indifférent aux pratiques religieuses, mais non hostile.
Tout un mouvement de circonscription de la population immigrée musulmane, anciennement colonisée, s’est dessiné, la confinant dans des territoires de plus en plus étroits. Sa simple présence devenait criminelle. Le contrôle au faciès humiliant et pluri-quotidien en a été, et continue de l’être, la marque insigne.
Les provocations se sont depuis multipliées
Les caricatures du Jylland Posten, quotidien danois de droite aux compromissions passées avec les Nazis avérées, concoctées entre le rédacteur de publication sioniste notoire Rose Flemming et Daniel Pipes, seraient restées ignorées de tous si un émissaire n’avait été envoyé dans toutes les capitales arabes pour déclencher une réaction.
Elles n’avaient rien d’humoristique. Le prophète de l’Islam était représenté avec une bombe dissimulée dans sa coiffe, faisant de tout musulman un terroriste.
Depuis, ce message est relayé, amplifié par les canaux enchevêtrés des medias mainstream.
On savait depuis longtemps que tout Palestinien, l’occupant ne le désigne que par la langue qu’il parle, l’Arabe, est un terroriste.
Depuis 2001, c’est tout Musulman qui est terroriste.
Au point qu’est enseigné aux militaires étasuniens au cours de leur formation que le voile porté par la Musulmane est bien un signe de terrorisme passif. [4]
Comme à la fin du Moyen Age, une définition d’un Nous sans homogénéité de classe ni d’intérêt s’opère au travers de l’exclusion d’une minorité diabolisée.
Diabolisée car elle indique où doit s’effectuer la séparation d’avec un groupe sans pouvoir politique ni économique qui se distingue par un accoutrement trop pudique. Tout un processus discursif sophistique est élaboré pour accuser cette exposition coupable de compromettre les « Valeurs » Républicaines.
Et comme pour les sorcières, un dispositif législatif complexe et sans cesse remis à jour a été élaboré pour punir. Une inflation médiatique remarquable par une intensité et une durée disproportionnées par rapport au nombre des femmes en causes est entretenue, signifiant le besoin de cimenter une société prétendument mise en péril par un épiphénomène. Bien sûr, d’autres forces la dilacèrent, et l’impuissance des gouvernements nationaux par rapport aux puissances de l’argent concrétisées dans des centres supranationaux en est une qui la cisaille et la déchiquette efficacement.
Les arguments exhibés dans ce Marteau nouveau en sorcellerie ne sont pas exempts de contradictions. Pour sauver les jeunes filles de la Loi obscène Du Père (comme l’écrit Lacan) qui les soumet, rien de mieux que les exclure de l’école publique et de les rejeter dans une sphère privée où elles risquent à coup sûr d’être gagnées aux vertus du libéralisme libertin.
La nécessité de désigner une cible chargée de tous les péchés est de nouveau inscrite dans le cours d’un capitalisme arrivé à une phase de crise elle-même mondialisée.
C’est à l’échelle planétaire que se dressent les buchers pour vaincre le Diable.
Le terrorisme et l’islamisme
L’Inquisition chassait les sorcières pour leurs crimes fantasmés pendant que l’institution ecclésiastique plongeait dans une corruption qui préparait sa confrontation avec la Réforme. L’Islam est criminalisé alors que les régimes théocratiques les plus réactionnaires, bons partenaires commerciaux, se voient attribués des Légions d’honneur. Il est professé que l’impératif est de faire reculer dans une guerre promise à être interminable le terrorisme « islamiste » et abattre des régimes laïcs par le truchement de bandes de terroristes fabriquées à cette intention.
La torture est réhabilitée comme moyen d’assurer la sécurité pour l’obtention d’aveux.
Les assassinats extrajudiciaires, étendus depuis l’enclave sioniste en Palestine, sont devenus la norme.
Les drones, forme impersonnelle d’assurer les crimes d’Etat, dispensent la mort en Afghanistan, au Yémen, en Somalie. Les F16 crachent leur feu sur Gaza.
Le Mali, la Libye, le Tchad, la Syrie et peut-être bientôt l’Algérie.
Leur justification est dans le New York Times et ses produits dérivés. [5]
Des millions de millions de dollars sont absorbés dans des programmes tel le Clarion Project [6] et les Pamela Geller, Franck Gafney et autres Caroline Fourest bénéficient de fonds à peine secrets pour ‘instruire’ et condamner.
Voilà comment je suis devenue la nouvelle sorcière à rôtir.
L’escadron de la mort que dirigeait Alvaro Uribe, frère de l’ancien Président colombien, portait le nom de ‘Douze apôtres’. [7] Qui pourrait prétendre que la guerre menée contre les syndicalistes et les opposants politiques était d’ordre religieux ?
Badia Benjelloun
6 mars 2016
[1] En 1233, le pape Grégoire IX confia la charge de combattre l’hérésie cathare aux frères prêcheurs, futurs Dominicains, bien content de se débarrasser de cette manœuvre sur un ordre monastique. Les derniers bûchers cathares datent de 1329.
[2] On en connaît au moins l’un des auteurs, Henry Institoris. Type de message contradictoire :
"Le sorcier est dépravé par son péché. La cause n’en est pas le Diable, mais la volonté humaine. Le péché procède de son libre arbitre. Or le Diable ne saurait mouvoir le libre arbitre…
Les démons peuvent remuer les esprits et les humeurs intérieures. On appelle leurs victimes des ‘saisis’, des possédés, car les démons les possèdent...
Il y a comme un défaut dans la formation de la première femme, puisqu’elle a été faite d’une côte courbe, c’est-à-dire d’une côte de la poitrine, tordue et opposée à l’homme.
Il découle aussi de ce défaut que comme un être imparfait, elle trompe toujours.
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