Salah, Gaza et la Palestine
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La nouvelle est donc tombée hier : Salah Hamouri a été une fois de plus arrêté. En pleine nuit par des militaires israéliens sans que l’on sache les raisons de cette nouvelle arrestation. Il est vrai que dans ce pays le seul fait d’être attaché aux droits humains et une raison suffisante pour être suspect. En ce qui concerne Salah on apprenait dans la journée qu’il serait gardé en détention jusqu’à dimanche pour « appartenance à une organisation ennemie » : limpide ! L’AFPS appelle à intervenir auprès du gouvernement israélien dont le but est, comme l’évoque le défenseur de Salah, notre camarade de Palestine afin de se débarrasser d’un avocat bien trop gênant.
Au-delà de ce que chacune et chacun doit faire pour peser sur le gouvernement de l’apartheid, l’interview de Pierre Stambul parue ces jours-ci sur le site du CNCD, sonne comme une illustration des raisons du combat de Salah et de toutes celles et tous ceux qui sont attachés aux droits humains.
PIERRE STAMBUL : « LES GAZAOUIS VIVENT COMME DANS UNE CAGE »
L’auteur de Chronique de Gaza(éditions Acratie), qui a été l’un des derniers européens à pénétrer dans la bande de Gaza, nous raconte sa vision de ce petit bout de territoire bouclé où vivent 2 millions de personnes.
Entrer dans Gaza c’est, écrivez-vous, comme pénétrer « dans une cage ». L’image est forte.
Oui, Gaza est une sorte de parallélépipède de 40 kilomètres sur 10, où
vivent 2 millions de personnes. Venant d’Israël, on y entre en franchissant un mur extrêmement haut et épais qui borde les zones urbaines. A l’est, le long des terres agricoles, le mur est remplacé par une barrière électrique et tous les 200 mètres une tour équipée d’une mitrailleuse automatique qui tire de temps en temps. Ces tours ont tué à ce jour 150 personnes, des paysans ou des jeunes qui essayaient de récupérer un peu de ferraille le long de la barrière de sécurité.
Côté mer, des vedettes maritimes patrouillent en permanence et tirent à vue sur les embarcations qui s’éloignent trop des côtes. Et les airs sont sillonnés par des dizaines de drones. Ils sont invisibles, mais on décèle leur présence, car ils tracent sur leur passage de grandes sinusoïdes sur les écrans de télévision. La connaissance parfaite qu’ont les Israéliens de chaque pâté de maisons de Gaza vient d’une surveillance permanente du territoire par les airs, ponctuée de temps en temps de bombardements.
Vous voulez évoquer l’assaut lancé par l’armée israélienne à l’été 2014 ?
Notamment. L’attaque de 2014 fut effectivement un roulement crescendo de bombardements qui a duré 52 jours. Les Gazaouis ont passé les moments les plus pénibles de leur vie, réfugiés dans des caves bondées. Ce fut une véritable guerre, très visible. Mais au-delà de cet événement terrible on meurt silencieusement tous les jours à Gaza. Un pêcheur a encore été abattu en février, comme ça, juste pour rappeler qu’il ne faut pas trop s’éloigner des côtes.
Gaza est un des territoires les plus peuplés de la planète avec 5 500 habitants au kilomètre carré et il est pourtant coupé du monde depuis plus de dix ans. Quelles sont les activités économiques sur place ?
C’est étonnant, mais le territoire est autosuffisant en poulets, en légumes, en yaourts et en aromates. Il y a 4 000 vaches et 65 000 moutons. On produit des fraises sous serre, une activité qui remonte à la nuit des temps. Et il y a un peu de pêche en mer.
On recycle aussi tout ce qui est possible. Des centres d’artisanat fabriquent des jouets d’enfants ou des figurines historiques avec du plastique de récupération.
Autre surprise, celui qui a de l’argent trouve presque tout dans les magasins. J’ai par exemple acheté un bon appareil photo pour un ami palestinien, il n’était même pas cher. A Gaza, il y a aussi d’innombrables épiceries qui vendent les produits de base à crédit. Quand la famille a de l’argent, elle peut régler l’ardoise.
Quelles sont les sources de revenus des Gazaouis ?
Soit ils ont accès aux circuits de solidarité, soit ils perçoivent un salaire de fonctionnaire, ce qui est le plus courant. Il y a trois types de fonctionnaires à Gaza : le personnel de santé et les enseignants, payés par Ramallah, c’est-à-dire l’Autorité palestinienne [1]. Il y a les catégories de fonctionnaires également payés par Ramallah, mais à condition de ne pas travailler. Et enfin, il y a les fonctionnaires engagés par le Hamas (le mouvement islamiste constitué d’une branche politique et d’une branche armée très active à Gaza) et payés avec des financements turcs et qataris. Pour ce qui est de la solidarité et de l’aide internationale, 72 % de la population bénécient du statut de réfugiés. Ils reçoivent également de l’United Nations Relief and Works Agency (UNRWA) de petits colis alimentaires. Enfin, il y a des associations caritatives qui envoient de l’argent ou des colis.
Pourquoi des fonctionnaires sont-ils payés à ne rien faire ?
Ce sont essentiellement des agents de sécurité. En 2006, le Hamas a remporté les élections législatives à Gaza sur un programme de lutte contre la corruption. L’année suivante, le Fatah était expulsé du territoire après une tentative de coup d’Etat. Depuis, les autorités de Gaza et de Cisjordanie ne se parlent plus. Donc l’Autorité palestinienne continue de payer ses agents à Gaza, mais quand ceux-ci travaillent dans le secteur sensible de la sécurité, le Hamas leur demande de rester chez eux.
Le bouclage du territoire remonte à cette époque. Quand le Hamas a été élu, la communauté internationale a tout de suite suspendu ses programmes d’aide tandis qu’Israël bouclait le territoire en disant qu’il était devenu un nid de terroristes, alors que les élections étaient parfaitement démocratiques.
Beaucoup de jeunes Gazaouis n’ont jamais vu autre chose que ce territoire bouclé.
Oui, 65 % des Gazaouis ont moins de 25 ans et la majorité d’entre eux ne sont jamais sortis de cette cage. Beaucoup d’entre eux sont par ailleurs diplômés. Sur 2 millions d’habitants, on compte 100 000 étudiants. Chaque année, les 6 universités distribuent 21 000 diplômes alors qu’il n’y a pas de travail.
Quelle est l’alternative, le travail dans les champs ?
Oui, quand c’est possible. Un cinquième des terres est voué à l’agriculture. La terre est extrêmement riche, mais confrontée à un grave problème d’eau. L’ONU dit que Gaza risque de disparaître en 2050 faute d’eau.
La nappe phréatique restitue chaque année 115 millions de m3 d’eau alors que Gaza en consomme 185 millions. Donc l’eau de mer s’infiltre dans la nappe. Ainsi, l’eau est devenue à 90 % impropre à la consommation et à l’agriculture, car elle est saumâtre. L’eau potable est importée ou alors les gens ont des systèmes pour dessaler l’eau. Lors des attaques de 2014, les Israéliens ont détruit la centrale électrique et tout le matériel qui se vait à pomper et à traiter l’eau. On voit combien cette question est essentielle à Gaza.
L’Union des juifs français pour la paix a financé la construction d’un château d’eau.
Le village agricole de Khuza’a, dans le sud, a été détruit pendant la guerre de 2014. Au total, 92 personnes sont enterrées là-bas. Le village dépend de l’offre d’électricité pour puiser son eau. Or l’électricité est rationnée. Donc les paysans nous ont demandé de construire un château d’eau pour stocker l’eau quand l’électricité est disponible. Il fallait trouver 13 000 dollars, nous en avons récolté 21 000. Plusieurs personnalités se sont mobilisées, parmi lesquelles la veuve de Stéphane Hessel. Heureusement, car nous avons dû acheter le ciment au marché noir et c’était beaucoup plus cher.
Vous êtes juif, mais antisioniste. Une position difficile par les temps qui courent.
L’émancipation des juifs européens a com-mencé au 18e siècle, avec des engagements dans tous les combats sociaux. Plus récemment, des juifs se sont engagés dans la résistance sous l’occupation, puis dans les luttes anticoloniales d’après la guerre. A chaque fois, nous cherchons à élaborer des manières de vivre ensemble.
Le sionisme cherche l’exact contraire, il s’appuie sur une théorie de la séparation des juifs et des non-juifs. Il vise également à s’emparer du territoire de l’autre, ce qui constitue une forme de colonialisme. Séparation et colonialisme sont des insultes à nos valeurs.
Vous prônez par ailleurs le boycott d’Israël. Vous pensez que c’est une solution ?
Oui, car les Palestiniens ne bénéficient pas des mêmes droits que les Israéliens. C’est une forme d’apartheid, or un système d’apartheid ne peut pas se maintenir éternellement.
Au Sud des Etats-Unis, le mouvement pour les droits civiques a mis un demi-siècle à imposer l’égalité des Noirs et des Blancs. En Afrique du Sud, 30 à 40 ans de lutte ont permis de faire tomber le régime d’apartheid. Le mouvement BDS (boycott, désinvestissement, sanctions), qui vise à supprimer l’apartheid en Israël, a démarré en 2005, la lutte va être longue, mais je ne doute pas de son issue.
Jean-François Pollet, le 21 août 2017
Transmis par Linsay
[1] Les Accords d’Oslo ont institué en 1993 les territoires palestiniens, un embryon d’Etat partagé entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, dont Ramallah est la capitale économique. L’Autorité palestinienne qui administre les territoires est détenue par le Fatah, le mouvement créé par Yasser Arafat. En 2006, les élections législatives ont confirmé la suprématie du Fatah.
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