Prisons : une soirée inédite et de haut niveau

mardi 27 mars 2018
par  Charles Hoareau
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Vendredi dernier avait donc lieu la Conférence débat Incarcération : quelle situation ? quelles propositions ? à l’initiative du Cercle Manouchian. De l’avis de toutes et tous les participant-e-s elle fut d’une grande richesse tant par la participation que par le contenu des débats dont toutes les interventions ont été filmées pour une restitution ultérieure plus complète. Sans attendre, voici un premier compte rendu synthétique de cette soirée qui a rassemblé non seulement à la tribune mais aussi dans la salle des personnes concernées au premier chef par ces questions.

En toute logique la première à intervenir est Rabha ATTAF au nom de l’association CONFLUENCES auteure du rapport sur la situation aux Baumettes : « Une situation telle que nous avons vu est encore plus inacceptable dans un état qui se dit de droit… » Et elle dénonce :
« - Une gestion arbitraire de la population carcérale
- Une ségrégation des populations pauvres et issues des minorités ethniques
- Les Baumettes 2, la nouvelle prison destinée à remplacer la prison historique, est totalement inhumaine
- Une énorme souffrance des surveillants qui ont les mêmes conditions de vie que les détenus
- Un taux de suicide élevé chez les personnels auquel se rajoute un taux de mortalité élevé et une très grande rotation des effectifs
- Nous sommes dans des territoires perdus de la République »

Pourtant des solutions existent, la privation de liberté n’est pas partout synonyme de privation de dignité. Rabha donne pour exemples 2 pays : la Norvège et l’Espagne. « En Norvège les détenus ont plus d’autonomie, ils mangent avec les surveillants qui sont aussi des éducateurs… En Espagne avec le programme « Respecto » il y a là aussi une plus grande autonomie des détenus, plus d’échanges et cela a fait baisser de façon spectaculaire la violence. En France la majorité des détenus n’a pas d’activité ce qui crée des tensions » Et de finir en proposant plusieurs mesures comme la mise en place de contrôleurs au niveau régional, de véritables politiques de réinsertion, que les juges d’application des peines soient tenus informés des conditions de détention, l’imposition d’un numerus clausus dans les maisons d’arrêt pour qu’il n’y ait pas d’incarcération au delà de la réelle capacité opérationnelle de l’établissement afin de permettre le respect de l’encellulement individuel des personnes (1 détenu pour 9m2). Cette mesure obligera les juges à moins prononcer systématiquement l’incarcération pour les délits dont les peines peuvent être alternatives (travaux d’intérêts,généraux, suivi par les services de probation et d’insertion, etc). L’incarcération, comme le stipule la loi, doit demeurer l’exception !

Vient ensuite le tour des syndicalistes CGT du secteur. Le premier est Khalid BELYAMANI secrétaire régional CGT des personnels pénitentiaires qui d’emblée souligne la parfaite synthèse de la situation faite par Rabha. Il enchaine « On est aux Baumettes dans une situation inédite, celle de la mise en service d’un nouveau centre pénitentiaire alors que l’ancien (Les Baumettes historiques) est toujours en fonctionnement malgré son état d’insalubrité et de délabrement. En plus les Baumettes
Sont déjà en surcapacité puisqu’il y a 715 détenu-e-s pour 573 places. Pour la première fois, dès la construction, on prévoit officiellement une surcapacité ! Chez nous elle est de 300 places…Il y a des cellules de 8,5m² prévues en principe pour une personne et qui sont en fait occupées par deux prisonniers. A ça il faut ajouter qu’on a un déficit de 109 surveillants et cela pèse sur les conditions de détention. Il manque aussi des personnels administratifs et techniques et de ce fait on enrichit des entreprises privées. Ce sont tous ces problèmes qui ont été au cœur du dernier conflit. Là on alors que nous la CGT on posait la question des moyens humains, du respect de la dignité, j’ai vu des syndicats qui demandaient des tasers, des camisoles…on allait vers un Guantanamo à la française et un retour de 50 ans en arrière. La CGT a combattu cela et ce n’est pas passé. On ne répond pas à la haine et à la violence par la même haine. Et puis il y a des gens qui n’ont rien à faire en détention comme les malades psychiatriques par exemple et cela n’est pas acceptable. Pour nous, et c’est très clair, on ne cautionnera jamais des comportements déviants s’ils sont avérés. On ne cautionnera jamais l’antisémitisme ou l’islamophobie, l’homophobie, le racisme.
Au moment où le gouvernement Macron veut réduire les aménagements de peine et limiter la marge de manœuvre des juges d’application des peines, nous disons 3 choses simples : le tout carcéral n’est pas la solution, il mener des politiques d’alternative à l’incarcération, il faut mettre en œuvre les moyens d’une vraie réinsertion pour éviter la récidive. »

C’est ensuite Djamila SIRAT militante CGT à l’APHM [1] qui intervient, en tant que personnel hospitalier des Baumettes : « La situation se dégrade d’année en année. Désormais on ne voit que 30% des détenus et donc on ne peut pas faire de prévention dans le domaine de la santé. Pour atteindre les cellules, l’organisation verticale (un élément qu’ont pointé tous les intervenants) et le manque de personnel fait qu’on met au moins ¾ d’heure. La tournée de distribution de médicaments dure 2h à 2h1/2, c’est une situation qui n’est pas tenable et tout va à vau-l’eau. La privation de libertés ne devrait pas s’accompagner d’une mise en danger des personnes au niveau de leur santé or c’est ce qui arrive. » Le débat qui suivra dans la salle sera d’ailleurs l’occasion pour une mère d’un jeune ancien détenu de donner un exemple des défaillances du système qui ont mis en danger la santé de jeunes voisins de la cellule de son fils.

C’est alors au tour d’Isabelle AUDUREAU secrétaire régionale de la PJJ [2]. « Je salue cette initiative ambitieuse et bienvenue. La situation aujourd’hui est significative du traitement de la pauvreté en France. L’ordonnance de 1945 qui est à l’origine de la création de la PJJ privilégiait la réponse éducative, aujourd’hui les mesures de répression ont pris le pas sur les mesures de prévention. Depuis 15 ans le nombre d’incarcérations des mineurs n’a cessé d’augmenter et le pourcentage des opérations de contrôle par rapport aux mesures éducatives a doublé. De surcroît les peines prononcées sont de plus en plus longues…ce qui ne règle rien ni pour les jeunes, ni pour la sécurité. C’est exactement le contraire de ce que prônait Victor Hugo, on enferme au lieu d’éduquer. » Comme Khalid avant elle, Isabelle souligne la double peine subie par les mineures qui ne sont pas enfermées dans un centre pour mineurs mais aux Baumettes avec tout ce que cela veut dire en matière d’influence négative sur le taux de récidive. « Il y a une volonté de « nettoyer la ville » et 35% des mineurs enfermés sont des mineurs non accompagnés. Il y a aussi le cas des roms qui sont discriminés et de manière générale on a souvent une politique d’incarcération discriminatoire.
Enfin autre élément aggravant c’est la politique très répressive en matière de stupéfiants alors qu’il n’y a pas ou peu de politique de protection. N’y a-t-il pas lieu de dépénaliser la consommation du cannabis voire de la légaliser ? Ce qui est sûr c’est que l’incarcération des mineurs n’est pas la solution puisqu’il y a 70% de récidive »

Les deux avocats du SAF [3] qui interviendront à la suite iront dans le même sens après avoir souligné « le caractère exceptionnel d’une telle réunion ».
Loïc ROCCARO, avocat pénaliste explique : « les dysfonctionnements de l’administration affectent directement la vie des prisonniers. Très souvent les virements bancaires sont bloqués pour des raisons administratives. Et ça prive les gens de leurs droits élémentaires. Il faut dire aussi que la comparution immédiate a considérablement augmenté le nombre d’incarcérations. Il faudrait revoir la loi. C’est la réponse quasi systématique et aujourd’hui les outils juridiques démunissent les avocats. La récidive c’est un échec de la justice. »
Léa TALRICH avocate spécialisée en droit du travail ajoute « Il y a celles et ceux qui ne devraient pas être en prison mais en établissement hospitalier mais il y a aussi celles et ceux qui sont les victimes d’une justice expéditive. Quand on est avocat d’office, et ce sont les plus démunis qui y ont recours, on a 25 mn pour rencontrer quelqu’un qui ne nous connait pas et qui depuis son arrestation n’a vu que des gens qu’il perçoit comme hostiles. Il faut d’abord le convaincre que l’on est là pour le défendre. Puis quand on arrive devant le juge on est face à un magistrat qui croule sous les dossiers et qui en peu de temps doit prendre une décision qui est de plus en plus liée à un barème et non une décision qui tient compte de la personne, des circonstances…Je veux aussi rappeler ce rapport de l’OIP [4] qui met en évidence le profit que tirent des sociétés capitalistes du travail sous-payé des détenu-e-s. En prison il n’y a pas de droit, c’est la loi de la jungle qui domine. Pourtant il est possible de faire autrement la contrainte pénale [5] a montré son efficacité quand elle est utilisée puisqu’il n’y a que 15% de récidive. Le drame c’est qu’avec l’organisation actuelle de la justice elle est trop peu utilisée. Il y a aussi l’exemple du Danemark et de ses prisons ouvertes dont la philosophie est que la « vie dedans » se rapproche au maximum de la « vie dehors ». Non seulement c’est plus efficace en matière de récidive mais en plus ça coûte moins cher ! ».
Il est un fait que la politique carcérale du Danemark fait qu’il a l’un des plus faibles taux d’incarcération au monde (61 pour 100 000).
Et Léa de conclure : « Avec ce gouvernement les droits procéduraux reculent fortement. On a de fait une justice de classe et de couleur qui légalise l’illégalité »

Un participant à la soirée résumait bien le sentiment général en se demandant dans une question qui ressemblait plus à une affirmation et en conclusion d’un parallèle sur la casse des services publics et de la protection sociale : « Au fond si on ne fait rien on va tout droit sur le modèle américain ! ».

Raison de plus pour ne pas laisser faire et donner des prolongements à cette soirée, sentiment qui faisait l’unanimité des participant-e-s qui échangeaient après le débat autour d’un apéritif dînatoire de grande qualité préparé par les amis Najua et Youssef.


[1Assistance Publique Hospitalière de Marseille

[2Protection Judiciaire de la Jeunesse

[3syndicat des Avocats de France

[4Observatoire International des Prisons

[5dispositif qui permet au condamné de rester à l’extérieur de la prison tout en étant soumis à certaines obligations.



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