Ces vautours qui dépouillent les pays pauvres
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Racheter à bas prix la dette des pays pauvres et les attaquer ensuite en justice pour les obliger à rembourser : voilà la méthode de fonds sans scrupule.
Les fonds vautours, comme les charognards dont ils portent le nom, tournent autour du cadavre pour s’assurer avant de le dévorer que personne ne les regarde. Mais cette stratégie risque d’être mise à mal. Militants et avocats internationaux commencent en effet à s’intéresser à ces fonds qui harcèlent des pays parmi les plus pauvres du monde, pour récupérer les millions de dollars que ceux-ci n’arrivent pas à rembourser.
Ainsi l’organisation Oxfam a-t-elle lancé une campagne visant une société américaine, Donegal International, qui vient de gagner un procès contre la Zambie devant un tribunal londonien. Cette affaire pourrait lui rapporter jusqu’à 20 millions de dollars. Selon l’ONG, plus de 28 000 personnes, rien qu’au Royaume-Uni, ont déjà envoyé un courriel à Donegal en signe de protestation, et ont signé une pétition demandant au ministre des Finances, Gordon Brown, de prendre des mesures à l’encontre de ce genre de fonds. Oxfam et l’organisation londonienne Jubilee Debt Campaign ont également persuadé des milliers de personnes aux Etats-Unis - où se trouvent la plupart des fonds charognards - de faire pression sur le Congrès.
Ces institutions cultivent le goût du secret, en s’abritant souvent derrière des sociétés-écrans domiciliées dans les Caraïbes. Elles rachètent à vil prix, sur des marchés secondaires, des obligations peu recherchées, dans l’espoir d’en obtenir le remboursement devant les tribunaux pour leur valeur nominale. Les banques de dépôt vendent souvent leurs créances pour une bouchée de pain en raison des faibles probabilités de remboursement. Le Nicaragua a dû lui aussi payer 287 millions de dollars à quatre fonds vautours, dont deux domiciliés aux Etats-Unis et deux aux îles Vierges. Des mercenaires originaires d’Afrique du Sud et de l’ex-Yougoslavie seraient également engagés dans cette activité, mais on n’en sait guère plus.
En 1999, Donegal a déboursé 3,2 millions de livres [4,7 millions d’euros] pour 15 millions de dollars [11,2 millions d’euros] de dettes zambiennes, mais il a réclamé 55 millions de dollars [41,3 millions d’euros] devant le tribunal, en comptant les intérêts et les frais. Le juge ne pouvait faire autrement que reconnaître la recevabilité de la plainte. Il a néanmoins exprimé son dégoût et refusé la somme demandée. Il fixera le montant exact en avril.
Pour Caroline Pearce, de Jubilee Debt Campaign, la situation a empiré ces dernières années à cause, paradoxalement, de l’allégement de la dette. Dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), les pays riches ont essayé d’annuler la dette de certains Etats afin de leur permettre de libérer des ressources pour lutter contre la pauvreté. “Les vautours se sont aperçus que, grâce à ce programme, la trésorerie de certains PPTE s’était améliorée, et qu’il était donc possible de les obliger à rembourser une partie de leurs dettes commerciales”, dénonce Mme Pearce.
Les PPTE ont contracté de nombreux prêts auprès de riches Etats et d’organismes multilatéraux comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Mais ils ont également des créanciers commerciaux, qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’initiative.
Le FMI et la Banque mondiale publient chaque année la liste des créanciers commerciaux qui poursuivent en justice des PPTE. Trois nouveaux noms y ont fait leur entrée en 2006 et quatre l’année précédente, ce qui porte le total à 44. Ils ont réclamé au total près de 1 milliard de dollars à 11 pays, intérêts et frais compris.
Des fonds charognards dans des paradis fiscaux
Nombre de fonds charognards sont domiciliés dans les îles Caïmans et les îles Vierges britanniques. C’est le cas de Donegal. Son propriétaire, Michael Sheehan - qui conseillait autrefois les pays pauvres en matière de dettes - , est également derrière Walker International, qui a obtenu gain de cause devant les tribunaux contre le Congo pour 13 millions de dollars. Il est notoirement difficile de connaître le nombre exact de fonds en activité, car ils sont souvent créés spécialement pour traiter d’une seule affaire contre un seul pays.
Une association londonienne, Advocates for International Development (A4ID), a vu le jour en octobre dernier. Elle regroupe des cabinets d’avocats de la City et des universitaires qui conseillent gratuitement les pays pauvres sur diverses questions liées au développement, comme les fonds charognards ou les négociations commerciales internationales. Ronnie King, du cabinet d’avocats Ashurst et membre d’A4ID, prodigue ainsi ses conseils au Cameroun, pays en procès avec cinq établissements, qui lui réclament des dizaines de millions de dollars.
Selon lui, le problème est exacerbé par l’empressement des banques à vendre leurs créances aux fonds vautours. “Les banques doivent réfléchir sérieusement aux implications éthiques de leurs décisions et non penser uniquement à nettoyer leurs comptes en cédant ces dettes aux fonds vautours, affirme-t-il. Ces fonds sont domiciliés dans des pays qui protègent l’anonymat de l’actionnaire. Cela signifie qu’il est impossible de remonter jusqu’aux actionnaires. Il est donc impossible de faire directement pression sur eux pour qu’ils modifient leur politique en matière de dette des pays pauvres.” Toutefois, ajoute l’avocat, les particuliers ou les associations militantes pourraient prendre une participation dans les grandes banques, ce qui les autoriserait à assister aux assemblées générales annuelles et à poser des questions sur leurs relations avec les fonds charognards.
Article d’Ashley Seager dans The Guardian du 29/03/2007
Transmis par Linsay
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