Entre Occident et Orient
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A la manière des emaki, ces longs rouleaux peints où une figure doit disparaître pour que l’on puisse voir la suivante, le Japon s’est progressivement effacé des radars médiatiques, éclipsé par une Chine omniprésente. L’un surprend par son déclin, l’autre étonne par son essor.
Pourtant, le pays du Soleil-Levant demeure la deuxième économie du monde et produit environ un quart de richesses de plus que son brillant voisin [1]
. Et si, à Londres en avril 2009, lors de la réunion des principaux pays riches et émergents (G20), Pékin a occupé l’avant-scène, c’est Tokyo qui a versé le plus au Fonds monétaire international (FMI), réaffirmant sa présence dans les affaires économiques de la planète.
Après avoir fait l’admiration (parfois envieuse) de la plupart des pays asiatiques pour son fameux « miracle économique », le Japon connaît une longue descente aux enfers depuis plus d’une décennie. Il est passé d’une croissance de 4% l’an du temps de sa splendeur à une stagnation depuis la fin des années 1990, avant de plonger cette année. Pressés par les experts internationaux et une partie de l’élite nippone, les gouvernements successifs ont, en effet, adopté les recettes libérales et poussé à une extraversion toujours plus grande de l’économie, sur fond d’austérité salariale et de délocalisations chez les voisins asiatiques, rompant très largement avec les pratiques qui avaient conduit au succès (intervention publique, qualification des salariés, cohésion sociale...). Tiré par l’exportation, le modèle s’écroule au fur et à mesure que s’effondre la demande mondiale. En conséquence, même ses atouts – l’investissement dans les technologies d’avenir – apparaissent dérisoires à court terme.
Bien sûr, la « décennie perdue », comme on l’appelle, ne l’a pas été pour tout le monde. Les actionnaires de l’industrie comme des banques s’en tirent bien. La part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé de quatorze points, passant de 78 % en 1976 à 64 % en 2006 (Croissance et inégalités, rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques sur la pauvreté, octobre 2008). Le Japon a désormais un niveau d’inégalité supérieur à la moyenne des pays développés.
Longtemps, la population a pensé qu’il s’agissait du prix à payer pour le redressement national. Le mécontentement est aujourd’hui si fort que pas un premier ministre ne résiste plus d’un an. Trois se sont succédé depuis le départ, en septembre 2006, de M. Koizumi Junichiro, qui était en place depuis 2001 – un record de longévité. Mais un changement de gouvernement ne fait pas le printemps économique et social. Le Parti libéral-démocrate, qui domine la vie politique depuis l’après-guerre, à quelques éclipses près, change de têtes, pas d’orientation. Quant au principal parti de l’opposition, il ne semble guère plus audacieux. Aux prises avec des scandales financiers, il n’est pas certain de pouvoir renverser la donne lors des élections à l’automne [2]. D’autant que le premier ministre Aso Taro a lancé un vaste plan de relance dont il espère tirer les fruits, d’ici aux prochaines échéances électorales.
« La vérité est que le Japon est un gâchis », note Masaru Tamamoto, chercheur au World Policy Institute, qui rappelle que, depuis le milieu du XIXe siècle, la réussite du Japon tient essentiellement à sa capacité à prendre ce qu’il y a de mieux dans le monde (« Japan’s crisis of mind », The New York Times, 1er mars 2009). Le pays a longtemps servi de référence dans la région, montrant que « l’on peut être moderne sans être occidental ». Aujourd’hui, ce modèle est en panne, manque de vision plus large, hésite entre Occident et Orient.
Certes, les liens avec l’Amérique semblent indéfectibles. Ce n’est pas un hasard si la première étape du voyage en Asie de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, le 16 février 2009, fut pour Tokyo, avant même Pékin. Assumant depuis 1952 le rôle de vigie asiatique pour le compte de Washington, le Japon entend d’autant moins laisser sa place que la Chine affirme sa force et que l’Inde monte en puissance. La coopération militaire s’est renforcée. La finance n’est pas en reste, puisque Tokyo demeure l’un des principaux banquiers des Etats-Unis.
Cependant, les dirigeants cherchent à affirmer leur ancrage asiatique. La page de la tension avec la Chine et la Corée du Sud (liée à la sous-estimation officielle des crimes de guerre japonais) semble tournée. Un rapprochement s’est opéré avec Séoul, ainsi qu’avec New Delhi, afin de contrebalancer Pékin. Les rapports sino-japonais se sont normalisés, même si la création d’un pôle asiatique autour de la mer de Chine relève encore de l’utopie (ou du cauchemar, selon l’endroit où l’on se place).
Il n’en reste pas moins les principaux partenaires commerciaux du Japon sont asiatiques, Chine en tête, loin devant l’Amérique du Nord ou l’Europe. Tokyo gagne du poids au sein de l’organisation Anase + 3 (les dix pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, plus la Chine, la Corée du Sud et le Japon), dont l’un des buts est de prévoir une solidarité sonnante et trébuchante face à la tourmente financière. Cet objectif, apparu après la crise de 1997-1998 qui avait secoué la région, prend toute son importance aujourd’hui. Le Japon va-t-il céder au tropisme occidental ou optera-t-il pour la carte régionale ? Va-t-il jouer avec la Chine ou contre elle ? La réponse apportée à ces questions contribuera à dessiner le nouvel équilibre géopolitique.
Par Martine Bulard.Le Monde diplomatique de Mai 2009
Transmis par Linsay
En médaillon le schéma actuel de la composition politique de la chambre des députés. Sur 480 sièges le PCJ a 9 élus.
[1] Si l’on prend le produit national brut en parité de pouvoir d’achat, les données sont inversées : la Chine (avec 6 991 milliards de dollars) dépasse le Japon (4 228 milliards de dollars), selon le Fonds monétaire international.
[2] Sans parler du PC japonais qui semble pouvoir, lors de ces élections, troubler la donne et peser sur les choix politiques voir article précédent NDR
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