Japon : les « intouchables » de Fukushima
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Considérée au temps du japon féodal comme une minorité d’intouchables employés dans les métiers impurs, la communauté burakumin compte près de 3 millions de personnes. Si toute discrimination officielle a disparu, des discriminations sociales, familiales ou professionnelles subsistent. Les sous-traitants de l’industrie nucléaire ont largement employé des burakumin pour les tâches les plus exposées à la radio-activité. Une pratique qui semble perdurer à Fukushima.
Ce sont les héros irradiés de Fukushima baptisés les « Fukushima 50 » par la presse internationale. Les 50 liquidateurs kamikazes restés sur le site le 15 mars 2011, le jour où l’incendie dans l’unité 4 a forcé à l’évacuation des travailleurs de la centrale.
Ils sont en fait plus de 700, selon des révélations récentes du Asahi Shimbun, le plus grand quotidien japonais, engagés dans une bataille quotidienne contre un « ennemi invisible ».
« Immédiatement après le séisme du 11 mars, le nombre d’employés de Tepco et de ses sous-traitants, Toshiba et Hitachi sur le site de Fukushima s’est élevé à plus de 700 personnes » travaillant dans des groupes de « secours », « information », « service médical » et « sécurité ». Ils se relaient par groupe de 50 travaillant sur le site pendant 2 jours avant d’aller subir des tests à l’Institut de radiologie de Tokyo. Combien sont ils vraiment ? Sont ils protégés ? Payés ? D’après un recoupement disponible sur wikipedia, plus de 1800 personnes (fourchette basse) auraient travaillé sur le site depuis le 15 mars, si l’on compte toutes les filiales, sous-traitants, pompiers et techniciens etc.
Derrière les louanges à ces intrépides, une autre réalité, la face cachée de la société japonaise : les burakumin, assimilables aux « intouchables » en Inde, des marginaux, condamnés depuis la nuit des temps à exercer des métiers dégradants.
Et à Fukushima, les agences de travail temporaire avouent avoir de plus en plus de peine à recruter des ouvriers qui acceptent d’aller travailler dans la centrale nucléaire.
Trop dangereux, trop exposé. Résultat, des travailleurs sans formation, itinérants réalisent l’essentiel des travaux dangereux –mais essentiels- dans les centrales. « C’est la face cachée de l’industrie nucléaire » déclare au New-York Times, un militant de l’amélioration des conditions de travail dans ce secteur d’activités. Parmi eux, des burakumins.
Associés à la misère, au chômage, et à la criminalité, ils exécutent les tâches que personne ne souhaite faire.
Les hiérarchies sociales : une vérité refoulée
Une subsistance du système des castes : « la discrimination a commencé au 9e siècle. Les burakumin étaient ceux qui touchaient le sang notamment les gens qui préparaient la nourriture pour les faucons, car la chasse au faucon était la grande distraction à l’époque. Tous les métiers liés au sang, au traitement des peaux et à la mort des animaux se sont trouvés marginalisés notamment en raison des préjugés shintô et bouddhiques de l’époque » explique Jean-François Sabouret chercheur au CNRS, spécialiste du Japon et auteur d’une thèse et d’un ouvrage sur les burakumin (l’autre Japon les Burakumin, éditions de la Découverte).
De là s’est forgée toute une hiérarchie sociale : les samourais (shi), les paysans (no), les artisans (ko) et les marchands -les plus méprisables (sho).
Mais également des hors-castes : les habitants des hameaux discriminés (hisabetsu burakumin), un statut héréditaire jadis, objet de nombreuses discriminations qui perdurent encore hélas pour beaucoup de nos jours. Il y avait les eta (littéralement les « plein de souillure » -êtres souillés- ceux dont le métier touche au sang et à la mort des animaux, au traitement des peaux ou au métier de bourreau) et les hinin ( non humains) considérés comme des « non-humains », souvent des criminels, mais qui avaient l’infime espoir de « réintégrer » la « bonne » société après avoir purgé leur peine dans les bas fonds.
Au nombre de 2 à 3 millions de personnes, il est quasiment interdit d’en parler dans les médias et en public.
Les petites mains de l’industrie nucléaire
En 1995, la chaine anglaise Channel Four diffusera une enquête de 30 minutes sur les conditions de travail dans l’industrie nucléaire japonaise, montrant notamment les effets de la dérégulation du marché japonais, l’absence de respect des normes de sécurité et l’irresponsabilité des industriels, notamment chez les sous –traitants de l’industrie nucléaire. Plus vous avez de sous-traitants, moins les normes de sécurité sont respectées.
Des travailleurs forcés à travailler au plus près du cœur des réacteurs à des chaleurs supérieurs à 40°c, obligés à se rendre sur les lieux au moment des accidents, contraints à éponger l’eau radioactive avec des serviettes, condamnés à effectuer des travaux de nettoyage, sans protections ni conscience des risques. Le documentaire soulignera que beaucoup d’entre eux sont issus de la caste des burakumin, sortis des ghettos de Tokyo et Osaka.
« Il est terrible de constater que le seul pays qui ait connu une attaque nucléaire puisse produire de telles souffrances avec ses propres centrales » témoigne l’un d’eux dans le documentaire.
Après la seconde guerre mondiale, les habitants des quartiers irradiés d’Hiroshima sont également l’objet de nombreuses discriminations avec une hiérarchie parmi les victimes. Parmi eux, les burakumin étaient soumis au « régime » le plus dur, contraints à rester dans leur quartier de misère à l’intérieur de la ville d’Hiroshima.
« Mais il n’y eut jamais d’enquête et le nombre exact des morts des différents ghettos d’Hiroshima reste inconnu. Sans famille à l’extérieur de la ville, les survivants durent rester dans la zone radioactive et vécurent pendant des années » écrit Philippe Pons, le correspondant du Monde à Tokyo en 1995, « absence de soins, épidémies, tuberculose : ils survivaient avec leurs plaies infectées dans les gravats, ramassaient des ferrailles ou abattaient chez eux des animaux dont ils vendaient la viande au marché noir, raconte Masamori Konishi, membre de l’Union de libération des buraku de la préfecture de Hiroshima… ».
Ruse tragique de l’histoire, à l’époque le quartier-ghetto des burakumin d’Hiroshima s’appelait…Fukushima.
Burakumin : la face cachée du Japon . Selon Jean-François Sabouret, spécialiste du Japon et dont le dernier ouvrage est Japon, la fabrique des futurs (CNRS-Editions), la discrimination des ancêtres des Burakumin est « presque aussi ancienne que l’histoire du Japon et de ses croyances locales ». . En 1868 arrive l’empereur meiji, et ses premières lois égalitaires qui mettent fin à toute discrimination. Les quatre classes officielles sont abolies, les japonais deviennent des sujets mais ils ne se passent rien pendant 4 ans pour les burakumin : « on leur crée un statut spécial de « nouveau citoyen ». Les gens du spectacle naguère discriminés durant l’époque d’Edo (sumo, kabuki, geisha…) sont libérés mais pas ceux des métiers liés à l’abattage des animaux et au traitement des peaux ». . En 1922, est créée la ligue des nivelleurs (suiheisha) ancêtre de la ligue de libération des burakumin créée la même année que le PC japoanais. Malgré les luttes, les discriminations persistent notamment dans certaines grandes entreprises, les recruteurs ont des consignes pour veiller à ne pas recruter des burakumin : « Ils avaient des annuaires qui fournissaient la liste et le lieu des ghettos. En 1976, la ligue de libération des burakumin a fait interdire ces annuaires. Mais, dans les faits, il y a encore des familles qui, au moment d’un mariage, font appel à des détectives pour savoir si leur fille n’est pas en train de s’amouracher d’un Burakumin. Cela coûte cher (environ 2500 euros), mais ce n’est rien à côté de s’apercevoir trop tard que l’époux de votre fils ou vos petits-enfants sont issus des descendants de la caste discriminée… » explique Jean-François Sabouret. . _ Malgré la ligue de libération, la lutte des Burakumin et les efforts des divers gouvernements japonais, notamment financiers alloués à l’amélioration de la situation matérielle des ghettos, la discrimination des Burakumin perdure aujourd’hui. Certaines personnes issues de cette minorité tentent d’effacer les traces de leurs origines, et de s’intégrer à la société normale, mais dans les faits, ils sont souvent les premiers à subir les conséquences sociales de la crise. Largement discriminés, des Burakumin se retrouvent aussi, comme certains descendants de Coréens dans les rangs de la pègre (les yakuza). Au Japon, cette persistance de pratiques féodales reste un sujet largement tabou. |
Par Régis Soubrouillard source Marianne le15/04/ 2011
Transmis par Linsay
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