Nous sommes au pied du mur
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« La situation dans le monde arabe et au Moyen-Orient à la lumière de l’échec de toutes les solutions à la crise capitaliste » : c’est le titre original de l’article que nous publions ici, signé de Marie Nassif-Debs, secrétaire générale adjointe et responsable des relations internationales du Parti communiste libanais. Dans le fatras d’informations-rumeurs que livrent les grands médias sur la Syrie, qui n’a d’égal que leur discrétion quand il s’agit de l’intervention du Qatar ou de l’Arabie Saoutie, et face au silence mortel qui pèse plus que jamais sur les luttes des Palestiniens, la voix de Marie Nassif-Debs éclaire comme une torche les sombres projets qui se trament.
La crise capitaliste se poursuit et s’envenime, non seulement en Europe mais aussi et surtout aux Etats-Unis, malgré toutes les tentatives, politiques et économiques, qui ont visé, durant les années 2011-2012, à trouver une sortie de secours face à la récession galopante et à l’effondrement du PIB tandis que les dettes publiques, grandissantes, continuent à échapper au contrôle des lois économiques bourgeoises. Cette crise, qui avait entraîné dans son sillage la Grèce et autres pays du PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne ["Spain" en anglais NDLR]), a des effets de plus en plus virulents sur le reste du monde, surtout dans les pays du Sud de la Planète que les puissances capitalistes se disputent afin d’en faire des « chasses gardées », tant par les richesses qu’ils recèlent (pétrole, gaz, métaux précieux et, surtout, terrains fertiles et ressources hydrauliques) que par les marchés qu’ils peuvent constituer aux produits fabriqués.
Les tendances mondiales 2030
Ces constats sont consignées comme telles dans le rapport publié, à la fin de l’année passée 2012, par les 16 agences de la CIA et appelé « Global trends 2030 » (tendances mondiales 2030).
En effet, le rapport mentionné parle de la présence de 6 variables qui pourraient déterminer l’évolution, dans un futur proche, du système capitaliste. La première variable parle d’une économie toujours en crise tandis que les autres attirent l’attention sur les « instabilités régionales », la « recrudescence des conflits », les « chutes de régimes préétablis », l’influence « des nouvelles technologies » et, enfin, le « rôle des Etats-Unis » dans tout cela.
Ce qui nous intéresse dans ces titres, ce sont surtout les questions posées par la CIA pour chaque variante appelant l’administration de Barak Obama à « bien y réfléchir ».
Parmi ces questions, nous avons choisi trois qui ont un lien avec notre région.
●La première est : Les gouvernements (entendre : des puissances capitalistes) et les institutions internationales (entendre le Conseil de sécurité des Nations Unies, la Banque mondiale et le FMI) actuels seraient-ils capables de s’adapter rapidement afin d’exploiter les changements à leur avantage ou bien ces changements vont-ils les submerger ?
●La deuxième est : La présence des armées mondiales (l’OTAN) et régionales, surtout au Moyen Orient et dans le Sud asiatique, aurait-t-elle pour conséquence de créer un état d’instabilité sur le plan international ?
●La troisième est : Les Etats-Unis pourraient-ils collaborer avec de nouveaux partenaires dans la réorganisation du Régime mondial et pourraient-ils se créer de nouveaux rôles dans un Régime mondial qui va s’élargissant (entendre : à la suite de la création du second pôle, le BRICS |Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud - "South Africa" en anglais NDLR]) ?
Ce choix est bien clair, parce qu’il montre que l’impérialisme étasunien a choisi ses cibles futures, ou bien il a réitéré ses choix, et que notre région constitue toujours le noyau dur dans la stratégie étasunienne, non seulement à cause de son importance sur le plan énergétique (sources et routes principales du pétrole et du gaz), mais aussi à cause de son importance géostratégique entre la Méditerranée et l’Océan indien, mais aussi à cause de sa proximité avec la Russie et l’Iran (la Turquie) et la Chine, surtout que ces deux grandes puissances « émergentes » font de l’ombre au leader capitaliste, tant en Asie qu’en Afrique.
Ce choix veut dire aussi, si nous lisons bien les deux premières questions, la deuxième notamment, que le Monde arabe en ébullition depuis deux ans déjà est choisi comme cible de prédilection pour des guerres futures, à l’exemple de ce qui s’était passé en Libye, et dont les préliminaires se trouvent dans l’appui inconditionnel que les amis de Washington, l’Arabie Saoudite et le Qatar en particulier, sans oublier la Turquie pour autant, fournissent aux forces islamistes fondamentalistes qu’ils combattent soi-disant en Afghanistan ou au Mali.
La situation au Moyen Orient
D’abord, une mise au point sur le plan de la terminologie.
Que se passe-t-il dans le monde arabe ? Pourquoi certains l’appellent-ils « printemps » et d’autres, au contraire, « hiver » ?
Il nous faut préciser rapidement qu’il y a beaucoup de différences entre ce qui s’était passé en Tunisie et en Egypte de ce qui se passe en Syrie, et que les divisions, confessionnelles, au Bahreïn n’ont aucun rapport avec le soulèvement du peuple yéménite.
Qu’est-ce qu’une Révolution pour un marxiste ou un marxiste-léniniste ? N’est-ce pas la volonté d’un changement radical dirigé par la classe ouvrière, directement ou à travers les partis la représentant... Donc, un changement social, de classe ?
Si nous prenons pour exemple la Tunisie et l’Egypte, nous sommes devant une tentative de changement révolutionnaire qui n’a pas encore abouti, qui est combattu et que l’impérialisme tente de récupérer, « d’exploiter à son avantage » ; mais, c’est un révolution quand même, menée par une alliance entre les représentants de la classe ouvrière (PC Egyptien, Nasséristes de gauche, syndicalistes) et les représentants de la petite bourgeoisie (cadres, intellectuels démocrates). Leurs slogans constituent un programme pour le futur : « pain, liberté, justice sociale, dignité humaine ». Les « frères musulmans » ont adhéré à ce projet après qu’il ait pris corps et pour mieux le récupérer. Mais, ils ont vite échoué ; et ce qui se passe ces derniers jours tant en Egypte qu’en Tunisie montre clairement que le processus déclenché est loin d’être récupérable, malgré tout l’argent dépensé.
Une fois cette mise au point faite, nous devrions ajouter que le rapport des forces internationales n’étant pas à l’avantage des forces du changement, en général, il est compréhensible que ces forces avancent et reculent... mais pour mieux se lancer. Ce que certains partis ou régimes progressistes sur le plan international ne voient pas ou refusent de voir. Ces mêmes partis qui avaient déjà soutenu des régimes de dictature appelés soi-disant anti impérialistes, comme la Libye, l’Irak ou la Syrie, tandis que ces régimes prônaient la politique de la terreur et de la répression contre les Communistes et autres forces démocratiques. Ce qui fait qu’aujourd’hui ils ne comprennent pas très bien ce qui se passe puisqu’ils se sont placés délibérément devant un faux dilemme : entre le mal (les régimes de dictatures qui ont suivi, depuis plus de 50 ans, une politique de flirt avec les puissances impérialistes) et le pire (les salafistes soutenus par ce même impérialisme), nous devrions choisir le moindre mal.
Telle est la situation en Syrie, par exemple
Cependant, il nous faut dire que, malheureusement, l’irréparable est fait. Le régime de Bachar Assad a raté de multiples occasions de pouvoir s’ouvrir une issue en appelant l’opposition démocratique et pacifique à négocier, en lui jetant du lest au moins ; voilà pourquoi, après 2 ans de crise, la Syrie suit l’exemple de l’Irak qui continue à subir les affres de la guerre confessionnelle et va vers la partition en trois Etats. Et, nous pensons que le rôle de la Russie, leader du second pôle, va plutôt dans le sens de sa mainmise sur la Syrie et non d’une solution politique réelle ; la Russie de Poutine n’est pas la Russie de Lénine. Et, si nous regardons bien la carte des combats des dernières semaines, nous voyons clairement qu’elles dessinent les frontières des mini-Etats que les deux camps vont se partager. Sans oublier que le retour au confessionnalisme est bien mis en avant, et ses effets sont bien visibles dans les pays frontaliers de la Syrie. Telle est la situation de la Turquie sous la coupe d’Erdogan, qui veut revenir à l’empire ottoman en usant de l’arme sunnite, que du Liban, qui se trouve, dans la mêlée de la crise syrienne, passible d’une nouvelle guerre civile entre Chiites et Sunnites, une guerre latente mais non lointaine, malheureusement, puisque des explosions armées marquent de leur empreinte meurtrière toutes les régions, notamment les deux frontières Nord et Est, et surtout à cause de l’infiltration des bandes dites « djihadistes » dont le mouvement « An Nousra », frère siamois d’Al Qaeda, constitue l’avant-garde (certains parlent de plusieurs centaines de ces djihadistes dans le seul camp palestinien de Aïn al Héloué).
Donc, deux courants s’affrontent aujourd’hui au Moyen Orient, l’un qui tente d’entrainer les peuples arabes vers leur perte par l’utilisation de l’arme confessionnelle, l’autre (plus faible) vers le changement par la poursuite des soulèvements populaires. Et, le rôle du mouvement de la gauche et du progrès se trouve dans le second camp ; d’où, il incombe aux partis communistes et ouvriers sur le plan international de se solidariser avec les partis communistes arabes, mais aussi avec « Le Forum de la gauche arabe », créé sous l’instigation du PCL quelques mois avant les premiers soulèvements et qui regroupe actuellement 23 partis œuvrant dans 11 pays arabes, allant de la Tunisie au Maroc et au Soudan et traversant l’Egypte, la Jordanie et la Palestine pour aller dans le Golfe (Bahreïn et Kuweit) et repasser par l’Iraq vers la Syrie et le Liban.
La cause palestinienne
Dans cette situation complexe, la cause palestinienne passe inaperçue, malgré que le peuple palestinien subit une colonisation très poussée, surtout autour d’Al Quds ; et la deuxième visite de Barak Obama dans la région n’est pas aussi suivie que celle de son ministre des affaires étrangères James Kerry.
Pourtant, cette visite aura, beaucoup plus que la première, un impact certain sur la Palestine et le reste du monde arabe.
Durant sa première visite, Obama avait évoqué la nécessité de donner aux juifs un Etat sécurisé et en paix avec ses voisins, acceptant ainsi l’idée d’un Etat des juifs dans le monde. Sa visite d’aujourd’hui vise deux objectifs : le premier consiste en la réalisation de cet Etat, après avoir tenté d’empêcher la reconnaissance par l’ONU de la Palestine en tant qu’Etat observateur ; le second, plus dangereux, vise à étudier le rôle futur de cet « Etat des juifs » dans un monde arabe sans grande possibilité de se défendre (disparition, l’une après l’autre, des armées qui avaient fait les guerres contre Israël) et où on vient de découvrir de nouveaux gisements de gaz et de pétrole, notamment au Liban. Ces faits, et vu la situation de crise continue dans le monde capitaliste, nous poussent à dire que le rôle d’Israël sera renforcé afin d’aider l’impérialisme, étasunien surtout, à sortir de la crise en lui ouvrant de nouvelles portes sans qu’il ait à s’en mêler. Cela rappelle quelque peu les années qui ont suivi la première guerre mondiale et les « principes de Wilson », dont la politique des mandats accordés à la grande Bretagne et à la France au Moyen Orient pour un petit laps de temps, afin de « pacifier » la région avant d’entreprendre de mettre la main dessus. N’est-ce pas ce qui transparait aujourd’hui, après la Libye, en Syrie où la France, la Grande Bretagne et, en partie la Turquie, ont le rôle guerrier tandis que les Etasuniens continuent les négociations.
Sommes-nous devant un nouveau Sykes-Picot [1] ? Ou, plutôt le projet du « Nouveau Moyen Orient » serait-il ce nouveau Sykes-Picot suivant le dessin fait par Zbigniew Brezinski dans son livre « Le Grand échiquier » ? [2] Peu importe.
Les deux projets sont presque les mêmes. Leur résultat sera le même, si nous nous laisserions faire : la disparition du monde arabe dans des guerres sans fin et, bien entendu, la disparition de la Palestine pour toujours. Cela veut dire aussi que ni la Turquie ni les autres grandes puissances de la région ne seraient épargnées. Elles auront à subir des partitions, elles aussi.
Cela nous pousse à dire que notre responsabilité est grande, nous les partis communistes et ouvriers du Moyen Orient.
Cette responsabilité consiste à œuvrer rapidement afin de former une alliance dont le but sera d’empêcher toute nouvelle intervention étrangère, en Syrie ou ailleurs, mais aussi de lutter tous ensemble, avec les forces de la gauche dans le monde arabe et la région afin de forcer nos pays à démanteler les bases militaires de l’OTAN et, en même temps, à se retirer de cette organisation impérialiste qui n’a fait que semer la mort et a destruction chez nous. N’est-ce pas ainsi que se réalise la souveraineté ?
A cela nous devons ajouter la démocratisation de nos sociétés (surtout par le refus de toute relation entre les confessions religieuses et les Etats, le refus d’appliquer la Charia ou toute autre loi religieuse) et de nos économies qui, vu les richesses que notre région recèle, doivent se baser sur les deux secteurs productifs essentiels, tout en donnant une plus grande importance aux campagnes, aux paysans qui sont les plus pauvres parmi les plus pauvre, mais aussi une plus grande attention aux ressources d’eau.
Je crois qu’il n’est pas téméraire de dire que nous sommes actuellement au pied du mur. Ou bien nous saurons comment y faire face ou bien nous serons ecrases et nos peuples avec nous.
article transmis par DJ
à voir sur le site Solidarite-internationale-pcf
[1] Les accords Sykes-Picot sont des accords secrets signés le 16 mai 1916, entre la France et la Grande-Bretagne prévoyant le dépeçage de l’Empire Ottoman et partage du Moyen-Orient à la fin de la guerre en zones d’influence entre ces puissances.
[2] Zbigniew Kazimierz Brzeziński (né le 28 mars 1928 à Varsovie en Pologne) est un politologue américain d’origine polonaise. Il a été conseiller à la sécurité nationale du Président des États-Unis Jimmy Carter, de 1977 à 1981. En tant que tel, il a été un artisan majeur de la politique étrangère de Washington, soutenant alors à la fois une politique plus agressive vis-à-vis de l’URSS, en rupture avec la détente antérieure, qui mettrait l’accent à la fois sur le réarmement des États-Unis et l’utilisation des droits de l’homme contre Moscou.
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