Regards d’Europe juilet 2007
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RAIL : VERS UN QUATRIEME PAQUET DE LIBERALISATION...
Le 1er juillet a marqué l’ouverture complète du marché européen de l’énergie, même aux particuliers. Les médias ont largement traité de cette question. Des responsables syndicaux et politiques, des associations de consommateurs, ont mis l’accent à juste raison sur le risque d’explosion des tarifs à la lumière de l’expérience dans d’autres pays. Mais rares sont ceux qui ont rappelé que cette ouverture totale du marché n’est que l’aboutissement d’un processus de déréglementation engagé ces dernières années avec le soutien du gouvernement de la gauche plurielle suite à un accord Chirac-Jospin au Conseil européen.
Par contre, les médias se font plus discrets sur la libéralisation des transports ferroviaires dont une nouvelle étape vient d’être décidée suite à un accord en "conciliation" conclu le 20 juin entre le Conseil des Ministres des transports des 27 et le Parlement européen concernant le "troisième paquet ferroviaire". La présidence allemande de l’Union européenne s’est félicitée d’avoir pu clôturer un de ses dossiers prioritaires après trois ans de débat ; elle a estimé que c’était un "véritable succès". Comme pour le secteur de l’énergie, cet accord est l’aboutissement d’un processus de déréglementation engagé en 1991 par la directive 91/440 et poursuivi par l’accord du Conseil en décembre 2000 sous présidence française sur l’ouverture à la concurrence du fret.
Après le fret, international puis national, c’est maintenant le secteur "voyageurs" qui est concerné. La nouvelle directive sur "le développement des chemins de fer communautaires" va libéraliser le marché international de voyageurs à partir du 1er janvier 2010 (le Parlement européen avait même réclamé 2008) avec une période de transition de deux ans dans les Etats où le transport international des voyageurs représente plus de la moitié du chiffre d’affaires des entreprises ferroviaires. La directive prévoit également que des contrats de service public pourront être accordés sur les liaisons internationales mais à condition qu’ils n’entravent pas le principe général de l’ouverture du marché et du libre accès et qu’ils s’avèrent nécessaires pour l’équilibre économique de la région concernée.
Malgré leur mobilisation, les organisations syndicales de cheminots n’ont pas réussi à bloquer l’engrenage de la libéralisation contrairement aux dockers et personnels des ports qui ont réussi en 2003 et 2005 à faire échec aux directives libéralisant les services portuaires. Il est sûr que la mobilisation des cheminots a souffert dès le départ des ambiguïtés des positions de la Confédération européenne des syndicats (CES) et de certains syndicats nationaux qui avaient jugé que la première directive, celle de 1991, pouvait contribuer à l’amélioration de l’emploi, du trafic et de la sûreté !
Le processus de libéralisation des transports ferroviaires n’est pas encore arrivé à son terme définitif puisque la Commission européenne doit présenter avant le 31 décembre 2012 un rapport d’évaluation avec l’objectif clairement affirmé d’une ouverture des marchés nationaux de transports des passagers comme l’avait réclamé le Parlement européen. Même si elle a subi des échecs, la "bataille du rail" n’est donc pas terminée et la mobilisation des cheminots et des usagers devra se poursuivre.
VENDANGES AMERES
Emmanuel Maffre-Baugé, un des principaux responsables viticoles, nous a quittés le 22 juin cent ans après la grande révolte des vignerons. Le 25 juin, des élus, des dirigeants viticoles et des responsables occitans lui ont rendu un vibrant hommage sur la place de son village de Bélarga. Député au Parlement européen de 1979 à 1989, apparenté au groupe communiste, il y était reconnu comme le porte-parole de la viticulture méridionale et de la culture occitane. Son livre "Vendanges amères", publié en 1976, était devenu un best-seller ; il y dénonçait déjà l’Europe des marchands et défendait le monde paysan et viticole. Il décrivait ainsi les vignerons : "Ces hommes merveilleux de paix, un peu empruntés hors de leurs terres, serviables et très ouverts, se transforment en loups, parce que l’on refuse de les entendre, de les comprendre, et que le fric donne tout ; et que l’on se fout de leurs dirigeants, que Bruxelles est une momie enveloppée de bandelettes d’ignorance, d’indifférence".
Son combat est toujours d’actualité. Il n’aurait pas manqué de prendre toute sa place dans l’action contre "les naufrageurs du vin" qui, une fois de plus, ont trouvé une oreille attentive à Bruxelles. En juin 2006, la commissaire européenne à l’agriculture, la Danoise Mariann Fischer Boël, avait dévoilé les grandes lignes de la réforme du marché communautaire viticole. Puis elle les a mises sous le coude et attendu que les élections françaises soient passées pour présenter le 4 juillet un projet de règlement qui reprend l’essentiel de ses propositions initiales. Elle maintient son plan d’arrachage mais en le réduisant à 200 000 hectares. Elle supprime les "distillations de crise" destinées à assainir le marché et maintient son projet de libéralisation des droits de plantation dès 2014. D’après la Commission, "cette libéralisation devrait permettre aux producteurs performants d’augmenter leur production pour récupérer d’anciens marchés et en gagner de nouveaux aussi bien dans l’UE que dans les pays tiers". Cette libéralisation, qui risque d’entraîner une surproduction, vise à industrialiser le secteur et à l’insérer totalement dans l’OMC. Le dogme de la libéralisation, qui est le fondement de tous les mécanismes communautaires, est également repris pour les pratiques Å“nologiques et les règles d’étiquetage qui seraient du ressort de Commission. Avec le risque de légaliser les "arrangements " des vins conduisant à une standardisation et une uniformisation. Après la malbouffe, le mal boire ! De ce point de vue, le film-enquête "Mondovino", présenté au Festival de Cannes en 2004, était prémonitoire puisqu’il dénonçait l’uniformisation, non seulement du vin mais aussi du goût. Il ne faut donc pas s’étonner que le Comité européen des entreprises vins (CEEV) ait accueilli favorablement les propositions de Bruxelles "au service de la compétitivité et des réformes économiques". Pour défendre ses profits, l’industrie et le négoce du vin sont prêts à encourager la fabrication, avec des pratiques Å“nologiques très laxistes, d’un vin de type mondial, le "world wine" des pays dits du "nouveau monde" (Afrique du Sud, Chili, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande...) qui prônent une production de masse standardisée soutenue par d’intenses campagnes de communication.
S’il était encore parmi nous, Emmanuel Maffre-Baugé serait monté au créneau contre cette espèce de "Coca-cola" du vin et pour défendre la qualité du vin en mettant l’accent sur sa dimension économique, sociale mais aussi culturelle. Il aurait été content de voir que les viticulteurs poursuivaient leurs actions pour empêcher la liquidation du vin et des viticulteurs. Cette mobilisation doit se développer à tous les niveaux, notamment auprès des gouvernements et des parlementaires européens qui sont saisis du dossier, pour faire échec au projet de Bruxelles, faire appliquer la préférence communautaire, promouvoir la qualité du vin, défendre le pouvoir d’achat des viticulteurs et l’avenir de la viticulture.
NOUVELLE OFFENSIVE DE LA "BANANE DOLLAR"
Le 1er août 2005, l’OMC, qui avait été saisie par neuf pays d’Amérique Latine, avait rendu un verdict défavorable aux producteurs communautaires et des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) en rejetant le projet de l’Union européenne d’instituer des droits de douane de 230 dollars par tonne importée. Ce montant était déjà inférieur aux demandes des producteurs communautaires qui allaient de 270 à 300 dollars.
Cédant au jugement de l’OMC, le Conseil des ministres de l’UE a adopté en décembre 2006 un nouveau règlement sur la réforme des aides au secteur de la banane. Il supprime les aides compensatoires ainsi que les avances financières en faveur des producteurs et les remplace par un transfert financier vers les régions ultra périphériques, dont les DOM. En adoptant ce règlement, le Conseil, suivant les orientations de la Commission européenne, voulait permettre "une ouverture plus large aux importations des pays tiers" ("Le Monde" du 8 mars 2005). Cet objectif a été atteint puisque les importations européennes ont augmenté en 2006 entraînant une baisse des prix pour les producteurs communautaires avec de graves conséquences économiques et sociales en Guadeloupe et en Martinique et dans les pays ACP qui bénéficient d’accords préférentiels avec l’UE.
Bien que la banane soit une production communautaire comme le blé ou le lait, elle ne bénéficie pas d’une organisation commune de marché fondée sur la préférence communautaire et la garantie de revenu. Les règlements mis en place en 1993, qui reprenaient les mécanismes de marché d’autres productions, ont été progressivement démantelés sous les coups de boutoir des multinationales de la banane et des Etats membres non producteurs qui préféraient importer des "bananes dollars" à bas prix sans se soucier, ni de leurs conditions de production (salaires de misère, dures conditions de travail, dégâts environnementaux dus notamment aux fumigations aériennes ...), ni des revenus des producteurs communautaires. A peine 15% des bananes consommées dans l’UE y sont produites !
Après avoir obtenu la casse de l’organisation de marché et de nouvelles concessions commerciales dans le cadre de l’OMC, les multinationales de la banane relancent leur offensive pour briser toutes les protections communautaires aux frontières et ouvrir encore plus le marché européen aux bananes produites en Amérique centrale et du Sud. Elles ont fait pression auprès des gouvernements de l’Equateur et de Colombie pour qu’ils déposent une nouvelle plainte auprès de l’OMC contre le régime d’importation de bananes de l’UE. Elles viennent de recevoir le soutien des Etats-Unis qui ne produisent pas de bananes mais qui défendent les intérêts de leurs multinationales (Chiquita, Dole, Del Monte...) qui exportent déjà les deux tiers des bananes consommées en Europe.
Les producteurs des DOM et des pays ACP devront une nouvelle fois se mobiliser pour faire échec à cette nouvelle offensive. Ils auraient intérêt à participer activement aux campagnes d’information sur les activités des multinationales par rapport à leurs salariés et à l’environnement. Ils pourraient également s’adresser aux gouvernements d’Amérique centrale et du Sud pour qu’ils ne soient plus les relais complaisants des multinationales de la banane et se préoccupent de l’amélioration des conditions de travail des salariés surexploités des plantations de "bananes dollars".
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