Un coup de force pour un recul social
par
popularité : 4%
En 1945 le ministre du travail, Alexandre Parodi reconnaît la représentativité de CGT, CFTC et CGC en prenant en compte l’importance des effectifs et des cotisations, l’expérience et l’ancienneté du syndicat, son indépendance par rapport au patron et son attitude patriotique sous l’occupation allemande. En avril 48 FO est ajouté à cette liste. C’est de cette époque que date la notion de représentativité irréfragable terme de droit qui signifie que cette représentativité a un caractère absolu qui ne peut donc être remis en cause. Le 31 mars 1966 un décret toujours en vigueur, ajoutera la CFDT, issue de la CFTC en 1964 à cette liste des confédérations reconnues représentatives qui seront alors au nombre de 5 : CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC.
Représentativité et validité des accords
Tout le monde en convient, cette liste d’organisations représentatives ne correspond plus au paysage syndical d’aujourd’hui. Il fallait la revoir.
C’est ce que propose le texte du 9 avril.
Parallèlement ce texte propose de nouvelles règles pour qu’un accord signé par une ou plusieurs organisations représentatives soit reconnu comme applicable. Il s’agit bien d’un autre problème posé à ne pas mélanger avec la représentativité, comme le fait le texte du 9 avril. On pourrait avoir de bonnes règles de représentativité et de mauvaises règles de validation des accords. De quoi s’agit il ?
Le 11 février 1950, la loi sur les conventions collectives intègre formellement les critères de représentativité au Code du travail mais dans le même temps, elle abolit l’agrément systématique des conventions collectives par le ministère du travail et surtout rend possible la signature de conventions ou d’accords collectifs par un seul syndicat reconnu représentatif, même s’il est minoritaire. Si on veut parler de la validité des accords collectifs c’est cette loi qu’il faut changer. Avant cette loi, par delà la question de la représentativité, tout accord national majoritaire et seulement dans ce cas avait force de loi puisqu’il était agréé.
C’est sous couvert d’accepter de changer partiellement cette règle de validation des accords que le MEDEF fait passer un texte qui attaque le droit syndical, compromet la représentativité des organisations syndicales actuelles et bouleverse même leur nature. Sans prétendre faire ici une analyse exhaustive de ce texte en voici quelques éléments.
Le texte du 9 avril
I) Sur la représentativité
I-a) Les critères
Le texte, appelé « position commune » et à partir duquel le gouvernement va légiférer, abolit la notion de représentativité irréfragable. Il aurait pu, pour tenir compte du paysage syndical actuel, étendre, sous condition, cette notion à d’autres organisations, ce n’est pas ce choix qui est fait. La représentativité devient réversible. Elle est réexaminée « à chaque nouvelle élection dans les entreprises et tous les 4 ans (…) au niveau des branches et au niveau national interprofessionnel » (art 3-2). Selon l’évolution électorale ou l’appréciation faite du respect des autres critères, une organisation syndicale peut donc perdre sa représentativité, dans une entreprise ou une branche professionnelle.
Pour être reconnue représentative une organisation syndicale doit répondre à 7 critères à la fois : effectifs et cotisations, transparence financière, indépendance, respect des valeurs républicaines, influence caractérisée par l’activité et l’implantation, ancienneté de deux ans, audience aux élections. Répondre à 5 critères sur 7 ne rend donc pas représentatif ce qui, nous allons le voir plus loin, va poser de sérieux problèmes au syndicalisme.
I-b) L’audience électorale
Pour être représentative une organisation syndicale doit obtenir 10% des voix dans l’entreprise et 8% au niveau national (branche ou interprofessionnel). Aujourd’hui nationalement, l’audience se mesure principalement par les élections prud’homales. Si tout n’est pas parfait dans l’organisation de ces scrutins ils ont au moins plusieurs avantages. Ces élections se déroulent hors entreprise et donc hors de la pression patronale, elles se font hors contexte local, sur la base des choix nationaux et de l’activité des confédérations, mais surtout ce sont les seules élections professionnelles auxquelles participent nombre de salariés travaillant dans des petites entreprises où le syndicat est souvent absent, de même que les DP et CE. Elles constituent donc une bonne image des choix syndicaux des salariés de ce pays.
En choisissant d’appuyer l’audience sur les seules élections au CE ou à défaut DP (art 2) le texte écarte totalement 24,5% des salariés (celles et ceux qui travaillent dans des entreprises de moins de 10 salariés) et une partie importante des 28,7% de celles et ceux qui travaillent dans des entreprises entre 10 et 50 salariés n’ayant aucune de ces deux instances. Quand de plus on sait qu’aux élections CE ce sont les non syndiqués qui arrivent en tête on mesure ce que veut dire un tel choix.
Autre élément la représentativité s’appréciant niveau par niveau une organisation comme la CGT, en l’état actuel des choses, perdrait selon ce texte, sa représentativité – et donc sa possibilité de négocier – dans des entreprises comme Eurocopter ou EADS, dans une partie importante du secteur banques et assurances…Il me revient en mémoire cet accord tenté par le patronat et des syndicats largement majoritaires au Crédit Lyonnais dans les années 80, entreprise où la CGT ne représentait même pas 5% des voix, accord qui avait été mis en échec par une CGT qui en avait appelé massivement à l’intervention des salariés. Qu’en serait il aujourd’hui avec un tel texte ? Que pourrait faire une CGT en dessous des 10% et qui de ce fait serait privée de toute information préalable, de toute intervention dans la négociation et de tous moyens ?
I-c) Les questions financières
Le texte indique que la transparence financière s’apprécie au niveau des seules régions, fédérations et confédérations (art 1-5) et que de plus « la représentativité n’emporte d’effets qu’aux niveaux où elle est reconnue » (art3). Comme les 7 critères de départ doivent être tous remplis, cela veut dire en clair qu’en l’état, les seules organisations aptes à désigner des délégués syndicaux sont les régions, fédérations et confédérations. Les UL (unions locales) et UD (unions départementales) si elles ne disparaissent pas, se retrouvent de fait, avec ces dispositions, sous tutelle des fédérations et des régions. Le syndicalisme de proximité et la démocratie syndicale en prennent un sérieux coup.
Sur les conditions financières de représentativité, dans son article 15, le texte précise que les cotisations doivent représenter la majeure partie des ressources syndicales. A priori cela parait logique. Mais comme il est précisé que « les mises à disposition de personnel (…) aux organisations syndicales (…) doivent (…) garantir une transparence financière » (art 15-2) et que celle-ci est l’un des 7 critères, nombre de syndicats d’entreprises en particulier du public vont perdre soit leur représentativité, soit leurs détachements syndicaux. En effet dans le cas (réel) d’un syndicat départemental de la fonction publique qui a 150 adhérents et fonctionne avec un secrétaire départemental qui est détaché à plein temps parce qu’il assume de plus des responsabilités interprofessionnelles, il doit, au nom des toutes nouvelles règles de « transparence financière » et de « sécurité juridique » faire apparaître dans ses comptes à la ligne recettes non seulement ses cotisations mais aussi le salaire du salarié détaché !! Il sera alors bien loin des 50% de part des cotisations…Ce calcul vaut d’ailleurs pour nombre de branches professionnelles.
I-d) Le recul du droit syndical
Aujourd’hui dans une entreprise où le syndicat n’existe pas, si des salariés veulent le créer, ils s’adressent dans la plupart des cas à la structure la plus proche de leur entreprise. Celle-ci nomme un délégué syndical qui bénéficie dans les entreprises de plus de 50 salariés d’un minimum de 10h de délégation et d’une protection contre le licenciement non liée aux résultats électoraux ultérieurs et non limitée dans le temps. Cette responsabilité de DS (comme celle de représentant syndical au CE) n’est pas forcément liée à un mandat de délégué élu. Dans la même entreprise il peut y avoir 5 élus et en plus un DS.
Dans les moins de 50 la protection part du jour où le salarié est désigné comme candidat aux élections DP. Il peut être alors désigné comme délégué syndical sans crédit d’heure.
Avec le texte du 9 avril pour créer le syndicat il faut d’abord désigner un représentant syndical (et non un délégué syndical dont il n’a pas les attributions en particulier la possibilité de négocier) qui n’a qu’un crédit de 4 heures et au bout de deux ans la section syndicale de l’entreprise (ce n’est alors pas un syndicat nous y reviendrons) peut se présenter aux premières élections organisées dans l’entreprise. Comme le texte entérine les élections tous les 4 ans, si par malchance des élections ont eu lieu dans l’intervalle de la désignation du représentant syndical il faudra attendre 4 ans supplémentaires. Mais plus grave, si aux élections le syndicat n’obtient pas 10%, il n’est pas considéré comme représentatif…et le représentant perd ses attributions…et sa protection ! (art 10-1) ! Si la section syndicale obtient plus de10% le DS devra impérativement être désigné dans la liste des candidats aux élections (art 10-3) ce qui traduit un recul de la reconnaissance du syndicat dans l’entreprise et risque de réduire de fait le nombre de militants disposant de moyens et de protection dans l’entreprise ou l’établissement. Ces diminutions de la protection sont peut être sans conséquence pour le syndicalisme « tranquille », il en va tout autrement pour le syndicalisme de lutte.
I-e) Un bouleversement syndical.
Si tout le monde s’accorde à dire que ce texte introduit un véritable bouleversement, reste à savoir si celui-ci va dans le bon sens. Pour nombre de dispositions c’est loin d’être le cas.
Ainsi sur la question de ce qu’on nomme la hiérarchie des normes. Aujourd’hui, si un accord local ou national peut améliorer la loi il ne peut en aucun cas la dégrader. Celle-ci constitue un socle minimum. Avec l’article 7 est introduite l’idée, chère au patronat depuis des années, qu’un accord d’entreprise ou de branche pourrait se substituer à la loi. Une illustration de ce contournement de la loi est d’ailleurs donnée dans l’article 17, article qui n’a en principe rien à faire dans ce type de texte et qui indique très tranquillement que des accords de branche pourront être passés pour « dépasser le contingent conventionnel d’heures supplémentaires prévu par un accord (…) antérieur à la loi du 4 mai 2004 ». On peut entourer cette phrase de précautions en y ajoutant derrière la formule « dans le respect des conditions légales », cela ne change rien au fond et surtout permet à une assemblée parlementaire telle que celle que l’on a actuellement d’ouvrir en grand les portes que ce texte entrouvre.
L’article 12 très curieusement titré : « Développement des adhésions aux organisations syndicales » ne peut laisser sans question : depuis quand (et de quel droit ?) le patronat se soucie-t-il du nombre d’adhérents aux syndicats ? Et de quels syndicats – et surtout de quel syndicalisme – parle-t-on ? Un coin du voile est levé au 12-2 quand il est écrit : « la réservation de certains avantages conventionnels aux adhérents des organisations syndicales de salariés constitue (…) une piste à explorer ». Un syndicalisme de services à la mode scandinave en lieu et place d’un syndicalisme de lutte ? C’est en tout cas le vœu que Sarkozy exprime dans Le Monde quand il salue cet accord ce qui en soi devrait nous inquiéter.
Aujourd’hui la CGT, entre autres, est régie par la règle du fédéralisme. Dans la pratique cela veut dire que les organisations de la CGT, et au premier rang d’elles le syndicat est maitre d’œuvre des orientations. _ C’est ainsi que le congrès national qui se tient tous les 3 ans est le congrès des syndicats (et non celui des fédérations et des départements.) Pour faire avancer la démocratie et tenir compte au maximum de l’avis des syndiqués, la CGT a toujours poussé pour que les syndicats, organisations de base de la confédération, soient au plus près des salariés, c’est-à-dire dans les entreprises.
Le texte, lui, ne parle que de sections syndicales d’entreprises, qui elles n’ont aucune autonomie syndicale. Cela implique-t-il qu’elles seront alors les sections de syndicats régionaux, niveau nécessaire pour faire les désignations avec la représentativité qu’impose forcément la certification des comptes ?
II) Sur la validité des accords.
C’est quand même ce qui motivait le texte à l’origine et c’est officiellement le principal point mis en avant par ceux qui l’approuvent. Si l’article 5 (à peine ½ page sur 13) avalise l’idée que dans « une première étape » il faudrait 30% des voix pour qu’un accord soit applicable, ce qui est une avancée, il laisse entier la question de la gestion des organismes paritaires où, les organisations patronales étant au même nombre que les organisations de salariés, il suffira toujours qu’une seule signe pour qu’un accord soit appliqué. L’UNEDIC, la CNAF…ne sont pas prêtes de connaître une gestion démocratique !
Tout ça pour ça a-t-on envie de dire !
En conclusion (provisoire)
Ce texte dont la CGT a d’ores et déjà – et la première – annoncé la signature est unanimement salué par la droite et le patronat. Il pose outre les questions posées plus haut nombre d’autres qui sont pour l’instant sans réponse. Dans les secteurs de sous-traitance où il n’est pas rare de changer d’employeur tous les deux ans : comment créer un syndicat avec un tel texte ? Comment l’assemblée et les juges interprèteront le critère « respect des valeurs de la République » ? Demander la nationalisation d’une entreprise est ce faire preuve de manque d’indépendance ou de non respect de la propriété privée ?
Ce qui frappe dans l’attitude des dirigeants syndicaux c’est la précipitation à annoncer une signature au point qu’à la CGT nombre d’organisations parlent de coup de force et demandent un CCN [1] extraordinaire pour se prononcer dans la clarté et le respect de la démocratie. Pourquoi se précipiter pour un texte qui vient de loin puisque dès le 5 décembre 2006, Bernard Thibault et François Chérèque leaders de la CGT et de la CFDT avaient envoyé aux présidents de tous les groupes parlementaires une proposition commune d’amendement reprenant les conclusions du Conseil économique et social sur la représentativité syndicale ? Un amendement qui devait permettre de « passer d’une représentativité « irréfragable », qui est contestée comme un privilège réservé à cinq syndicats, à une représentativité « irréfutable » obtenue dans l’entreprise », comme l’avait expliqué François Chérèque. (Le Figaro International du 05 décembre 2006).
Peut être la réponse est, d’une part que les organisations veulent répondre positivement au désir du gouvernement (on se demande bien pourquoi ?) de faire passer ce texte à la session parlementaire de printemps, d’autre part dans cette phrase de l’avis de la CE confédérale : « Ainsi la conjugaison de ces nouvelles dispositions marquerait une rupture (sic !) avec les principes en vigueur depuis plus de 50 ans qui permettaient au patronat de conclure des accords minoritaires… ».
Quand on voit les derniers textes collectifs approuvés majoritairement ou sur lesquels la CGT s’est abstenue on peut estimer plus sûrement que les évolutions syndicales ne font plus craindre au grand patronat des refus majoritaires de signatures sur des grands choix.
Reste que si le texte est adopté en l’état, au-delà du moment de surprise passé, les réactions qu’il ne va pas manquer de susciter sont loin de lui assurer un avenir tranquille. Déjà se profile la bataille auprès des parlementaires et la bataille pied à pied, dans chaque entreprise et chaque branche pour que le MEDEF voie s’écrouler ses rêves de voir s’effondrer le syndicalisme de lutte au profit du syndicalisme institutionnel.
[1] organisme statutaire de direction de la CGT
Commentaires