Une partie de poker menteur ?

jeudi 12 juin 2008
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Olivier Merlen, enseignant dans les quartiers nord de Marseille est syndicaliste CGT. Cet article est une réflexion pour Provence Information, l’organe de la CGT Educ’action pour le département des Bouches du Rhône.

La volonté affichée du ministre de l’E.N. et de l’actuel gouvernement « d’aménager » d’abord et de supprimer ensuite la carte scolaire devrait susciter, chez les esprits un tant soit peu cartésiens, quelques questions simples et de bon sens.

Sur le site du ministère figure, à l’attention des parents, cette alléchante réclame : « Dès la rentrée scolaire 2008, vous pouvez choisir l’établissement scolaire de votre enfant. C’est une manière de favoriser l’égalité des chances et la diversité sociale au sein des établissements scolaires ».

Hélas, si l’on peut imaginer, dans un scénario certes un peu improbable, qu’un puissant afflux d’élèves résidant dans les Quartiers Nord de Marseille vienne déferler sous les lambris du Lycée Thiers [1], il apparaît moins certain que les parents du Lycée Thiers décident de faire goûter à leur progéniture les charmes méconnus des Collèges Jean Moulin ou Henri Barnier. Honte à eux !

Ce qui va se passer en fait, et ce que tout le monde sait, à commencer par M. Darcos, c’est que l’assouplissement de la carte scolaire, puis sa suppression programmée vont transférer vers les établissements les plus favorisés socialement et culturellement quelques élèves en réussite des quartiers défavorisés, abandonnant entre eux ceux que l’on considère cyniquement comme déjà des « laissés pour compte » dans des établissements de troisième zone.

Ce qui va se passer aussi- et ce qui se passe déjà-, c’est l’ouverture à l’enseignement privé d’un véritable boulevard : l’enseignement catholique met de l’eau tiède dans son bénitier et accueille avec une ferveur très œcuménique les enfants de confession musulmane, son nouveau fonds de commerce ; l’on ne compte plus les officines de tout poil proposant leurs services comme on vend de la lessive, et dont le principal argument (de vente) est le dénigrement de l’enseignement public, mais surtout, et plus grave, les connotations racistes qu’il sous-tend.

Chacun d’ailleurs- sauf peut-être ceux dont ç’eût été le devoir, journalistes en particulier- peut remarquer que la suppression de milliers de postes d’enseignants ne s’applique qu’au public, alors même que la majorité des enseignants du privé sont payés par l’Etat : M. Darcos a le dégraissage sélectif.

QUELLE CARTE SCOLAIRE ?

Réaffirmer la nécessité de la carte scolaire, s’opposer par tous les moyens à son dépeçage, montrer qu’elle est le fondement essentiel d’un enseignement démocratique, telles sont les positions de notre syndicat qui ont été approuvées lors de notre congrès [2].

Mais ces positions justes doivent aussi nous amener à une réflexion approfondie et à des propositions neuves sur ce sujet qui détermine tous les autres ( égalité des chances, échec scolaire, mixité sociale etc…).
Sur quoi en effet a-t-elle reposé jusqu’alors ? sur un principe simple : celui de la proximité géographique, qui fait que sont scolarisés dans un secteur défini (pour les collèges) ou dans un district défini (pour les lycées), les élèves qui y résident.

Ce principe est-il efficace, crée-t-il les conditions de la mixité sociale, favorise-t-il l’égalité des chances ? A l’évidence non : les Collèges des Quartiers Nord de Marseille ( comme tous ceux, au plan national, des banlieues et des périphéries) scolarisent à 90°/° les enfants des cités qui les entourent ; certains même en font partie intégrante. Y trouve-t-on la mixité sociale et culturelle que la carte scolaire ainsi définie était censée instaurer ?

Ou, pour mettre les points sur les i, combien d’enseignants -par exemple-, proclamant pourtant leur refus des ghettos et leur attachement à l’Ecole de tous, font des demandes de dérogation ou n’hésitent pas à inscrire leurs enfants à l’établissement privé et même confessionnel du coin, pour éviter de les scolariser dans leur établissement de secteur ?

Et dans le meilleur des cas, quand le Conseil Général entreprend timidement une mini- révision de la carte scolaire et affecte à un secteur défavorisé des élèves issus d’un autre quartier, le politique s’en mêle, le candidat en mal d’électeurs s’effraie et repousse aux calendes grecques tout changement, ce qui ne l’empêche pas, la main sur le cœur, de jurer son attachement à l’Ecole de la République et à ses valeurs !

La suppression de la carte scolaire programmée par le gouvernement et les conséquences qu’elle entraînera n’est que le pendant de la dérèglementation du droit social : le libéralisme n’y a pas plus de rapport avec la Liberté que le Baron Seillière n’en a avec un Rmiste. Et parallèlement, parler de maintien de la carte scolaire sans en proposer un tracé progressiste revient à perpétuer les ghettos.

Dans les lignes qui suivent, seront abordées des pistes de réflexion destinées à ouvrir un débat au sein et en dehors de notre organisation ; à chacun de s’en emparer et de réagir, et nous nous efforcerons dans Provence Enseignement de faire la synthèse des propositions et des points de vue.

- Si elle peut convenir à des territoires ruraux ou à des zones où la population est relativement homogène socialement, il est évident qu’une carte scolaire qui ne prendrait en compte que le critère de proximité –disons de commodité- ne saurait remplir son rôle. Chacun sait par exemple qu’en fin de 3e, beaucoup d’élèves des quartiers défavorisés, par refus ou par peur de sortir de leur quartier, choisissent leur futur établissement d’affectation en fonction non pas des formations auxquelles il prépare, mais de sa proximité avec son domicile.

- La mixité sociale est systématiquement conçue « à sens unique » : il s’agit « d’injecter » dans des établissements « difficiles » un certain nombre d’élèves issus de milieux plus favorisés (et c’est une punition), ou d’envoyer quelques élèves issus de milieux défavorisés dans des établissements « prestigieux » ( et c’est une récompense). Dans un cas comme dans l’autre, on n’organise pas la mixité sociale, elle sert soit de repoussoir, soit de miroir aux alouettes.

Il est donc nécessaire de l’envisager à double sens, dans les apports réciproques qui peuvent enrichir au sein d’ un même établissement des élèves issus de classes sociales et de cultures différentes ; et il est nécessaire de l’imposer sous cette forme à tous les établissements scolaires. Comment ?

- Est-il utopique ou irréaliste de mettre en place la pratique du « busing », inaugurée aux Etats-Unis pour faire face au défi de la ségrégation raciale ? Celui de la ségrégation sociale et scolaire ne mérite-t-il un traitement aussi radical, fondé au demeurant sur les valeurs de solidarité nationale, de connaissance et de respect mutuels ?

- Est-il utopique ou irréaliste d’imposer à tous les établissements scolaires l’application stricte de quotas sociaux ? Une disposition de même nature ne figure-t-elle pas déjà dans la Loi sur le logement social (même si, comme on le sait, certains maires s’en dispensent) ? Et est-il concevable que l’enseignement privé échappe à cette règle commune ?

Nous ne pouvons pas, en tout cas, faire l’économie d’un débat sur cette question centrale et laisser le champ libre à tous ceux qui se gargarisent des mots « Ecole de la République » en même temps qu’ils dépècent et l’Ecole et la République.


[1lycée du centre ville de Marseille souvent présenté comme la crème des établissements NDR. Jean Moulin et Henri Barnier sont deux établissements des quartiers nord

[2Il s’agit ici du syndicat des enseignants CGT



Commentaires

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