La CFDT contre les intermittents

lundi 15 décembre 2008
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Décidément la CFDT a décidé de faire dans le juridique !
Non pour s’attaquer au MEDEF mais aux militants qui ne demandent qu’à mieux vivre, tout simplement !
En attendant le procès des militants CFDT de Lenoir et Mernier dans les Ardennes, avait lieu ce jeudi celui de Ludovic Prieur de la coordination des précaires d’Ile de France et de Michel Roger de Jolie Môme, (qu’on ne présente plus ici), tous deux en lutte contre la précarité et qui étaient venus demander à la CFDT les raisons de sa signature d’un accord dans une profession où elle représente au maximum 3% des salariés...
Au vu de ce que nous en raconte Aline, il en est qui ne craignent ni le ridicule, ni l’incohérence...ni même l’indéfendable...

Le résultat du procès intenté par la CFDT à Michel Roger et Ludovic Prieur est un enjeu politique considérable. En ce sens, je préfère me concentrer sur les plaidoiries des avocats et la réquisition du procureur, plutôt que de détailler les faits reprochés ou les interventions des témoins de la CFDT.
J’ai peut-être aussi envie d’être charitable avec les trois quarts des témoins de la CFDT qui s’embourbaient dans des réponses floues (pour ne prendre qu’un exemple, alors que l’on est salarié de la CFDT, on semble ne pas se souvenir de la manière dont est faite la porte, si elle est large ou pas, si elle s’ouvre à la demande ou s’il y a un système électronique etc…). Je veux entendre dans cette gêne visible des témoins, ce qui s’apparente plus au malaise des lâches qu’a de la peur (la honte ?) des traîtres. Quel aveu que cette présence musclée et arrogante du service d’ordre de la CFDT devant les portes de la salle d’audience !
Quel réconfort pour les intermittents et précaires que cette longue file chaleureuse d’amis venus les soutenir !

Revenons donc aux enjeux d’un verdict qui sera prononcé le 22 janvier 2009 à 13h30.

Ces enjeux sont présents dans les nombreux témoignages des chômeurs, précaires et intermittents. Je citerai plus longuement deux témoins dits de « moralité ».
En premier lieu, le syndicaliste CGT, Charles Hoareau : « Je connais la Compagnie « Jolie Môme » depuis longtemps par leurs spectacles. Ce sont des artistes qui défendent leurs convictions avec sérénité et force.(...) La loi du 4 août 2008 donne raison a posteriori à ceux qui sont aujourd’hui accusés puisque, depuis cette loi, la CFDT ultra minoritaire dans ce secteur ne pourrait plus signer les accords que les intermittents, chômeurs et précaires dénoncent ! (…) Je ne comprends pas l’attitude de la CFDT. Elle-même avait occupé Carrefour à Marseille pendant 14 jours. Peu après, F. Chérèque en personne est venu au magasin pour donner raison aux grévistes !(…) Si, chaque fois qu’il y a 2 heures d’occupation, on devait venir devant les tribunaux, ils seraient encore plus encombrés qu’aujourd’hui ! ».

André Chassaigne, député- maire de Saint-Amant-Roche-Savine, a rappelé ses liens avec la Compagnie « Jolie Môme » qui est en résidence depuis treize étés dans sa commune.
« Les comédiens ont établi un contact chaleureux, respectueux et solidaire avec les habitants (des vieux, des montagnards, des paysans peu politisés, des jeunes qui ont choisi les voix artistiques grâce au travail de la compagnie avec les habitants etc…). J’ai été époustouflé en apprenant que le metteur en scène était poursuivi devant les tribunaux par la CFDT, alors même que la compagnie soutient très souvent les actions de la CFDT dans le département ! » André Chassaigne sort alors un document dont il va lire de larges extraits et provoquer ainsi applaudissements et rires, partagés par la présidente qui acceptera le document dans les pièces du dossier.

« Ce 8 pages en quadrichromie de la CFDT relate la lutte de DAFTA en 2006 : 4 occupations menées par la CFDT dont 24 heures de retenue du Conseil de direction ! J’étais à leur côté, je suis là sur la photo ! S’il y avait une sanction, ce serait grave ! On doit respecter ces formes de lutte. Si l’entreprise EURODEC avait traîné la CFDT devant les tribunaux, j’aurais été à ses côtés. Je suis profondément désolé de devoir témoigner aujourd’hui contre un syndicat que je respecte par ailleurs ! »

Avant l’audience une partie de la foule qui se presse devant la porte

Maintenant les plaidoiries et d’abord le petit doigt qui pourrait changer la face du monde !

L’avocat de la CFDT a bien du mal à plaider « l’affaire » . Hormis ce petit doigt de la main gauche cassé qui a occasionné 55 jours d’ITT, il n’a rien ! Ce petit doigt pourrait nous dire peut-être combien coûte à la Sécurité sociale 55 jours d’ITT et combien les « partenaires sociaux responsables qui gèrent nos deniers » ont dû souffrir de voir dilapidé « l’argent des contribuables » puisque c’est ainsi qu’ils jugent souvent les indemnisations ou pensions des caisses de solidarité de notre système !
Bref, l’avocat a ramené à plusieurs reprises le petit doigt sur le devant de la scène pour justifier un flot de paroles paternalistes, méprisantes et revanchardes sur le statut des intermittents : « Ces gens qui ont un art consommé de la dissimulation », qui « ne déclarent même pas leurs associations ou coordinations en préfecture », qui ne savent pas « demander poliment un rendez-vous aux dirigeants de la CFDT », qui « n’ont pas de leader apparent car ils se dissimulent dans la masse indistincte » et qui « ne prennent aucun risque puisqu’ils n’envahissent pas les locaux de leurs employeurs ». Là, la salle comble du tribunal proteste en choeur en rappelant que l’on envahit aussi des plateaux de TV et autres lieux institutionnels ou patronaux, dans un éclat de rire général qui arrache un sourire à la présidente elle-même.
Hargneux et méprisant, l’avocat rappelle « le milliard de déficit » et interpelle la présidente pour lui rappeler que « ce déficit est payé entre autres par votre bonne et par la caissière du supermarché » !

De peur sans doute que cela ne suffise pas il en rajoute : « des gens qui n’ont que le sarcasme aux lèvres », « des vrais et des faux, mais (paternaliste) ce n’est pas de leur faute tout à fait puisque leurs employeurs en profitent aussi » , « pour être intermittent point de sélection, pas de qualification requise »
Paternaliste encore, il précise que s’il n’y avait pas eu le petit doigt cassé, la CFDT n’aurait pas porté plainte et que, clémente (oserais-je miséricordieuse pour ce syndicat aux racines chrétiennes ?), elle ne souhaite qu’un rappel de la loi et pas d’inscription au casier judiciaire !
Puis, geignard, « la CFDT ne doit pas être un souffre douleur parce qu’elle signe des accords avec le MEDEF » !

Enfin il fait mine de s’interroger sur les conséquences d’une non condamnation sur les moyens dont devraient se doter la CFDT pour se protéger et émet l’hypothèse d’être obligé de faire comme « le PCF », « la CGT » et « même FO », à savoir avoir un service d’ordre constitué de « gros bras » munis de « manches de pioches »... (sic)

On le voit dans ce résumé, le fond de la plaidoirie n’est qu’un argumentaire justifiant la casse du statut d’intermittent, une tentative de faire peur par un amalgame à peine voilé entre les groupes dits de « l’ultragauche » et autres « comités invisibles » pourchassés depuis quelques semaines comme des terroristes.
Va-t-il falloir déclarer en préfecture tout groupe informel, toute AG, tout citoyen qui réfléchit, proteste ou manifeste ?

Le ministère public ne s’y trompe pas lorsque, magnanime, il demande, dans le droit-fil de ce que l’avocat de la CFDT proposait, une « application modérée de la loi » : « Coupables, pas d’amendes, car ils ont peu de moyens, mais une peine de prison avec sursis pour les empêcher de recommencer et leur faire comprendre que l’occupation n’est pas un outil et qu’il y a d’autres moyens pour se faire entendre. Je ne verrais aucun inconvénient si les juges proposaient de ne pas faire mention au casier n°2 car les prévenus peuvent avoir des contrats avec des organismes publics » ».

Maître Irène Terrel plaide alors le droit, l’affaire : « L’avocat de la CFDT reconnaît lui-même qu’on entre comme dans un moulin au siège de la CFDT ». Dès lors comment caractériser l’entrée, certes nombreuse, mais calme et sans violence, de « violation de domicile » ?
_ Elle demande ensuite comment on pourrait se servir de « cette fable d’un homme jeté à terre, alors que plusieurs personnes sont tombées dans le mouvement de foule ».
« On entre sans ruse, sans dégradation, naturellement, sans manœuvre ». La police, elle-même, a désavoué tout caractère de violence dans ses rapports : « Aucun coup n’a été porté et la blessure du petit doigt n’est due qu’à un mouvement de foule (…) Les locaux ont été évacués après concertation entre la CFDT et les manifestants, les intermittents quittent calmement les locaux, personne n’est interpellé ».
« Voilà la vérité des faits ! Pas d’élément matériel constitué concernant la violation car il ne suffit pas de pénétrer, mais encore faut-il démontrer que les moyens pour y pénétrer s ‘apparentent à la violence ; d’ailleurs le juge d’instruction n’a pas poursuivi en la matière.
Pas de saccage, pas de vol, personne n’est masqué, les forces de police n’ont pas à intervenir ! Quant au maintien sur place, il ne s’agit rien d’autre que d’attendre de pouvoir dialoguer avec des responsables, on discute, on attend une entrevue. Enfin, des gens de la CFDT apportent la réponse : ils ne seront pas reçus ! Alors, tout le monde repart tranquillement ! »

« Maintenant, l’élément intentionnel, je ne parle pas de mobile, car il s’agit d’une infraction intentionnelle. Le but était de rencontrer des responsables, de dialoguer, de demander des comptes sur les accords. »

Elle dénonce ensuite « l’acharnement judiciaire stupéfiant de la CFDT », elle regrette « ce triste procès, cette procédure choquante qui témoigne du mépris de la CFDT pour les demandes légitimes de dialogue, d’explication sur les accords signés sur le chômage, les retraites, le statut des intermittents. Ce refus de dialogue qui dure depuis tant d’années et maintenant cette plainte incroyable ! On traîne devant la justice des gens qui viennent pacifiquement demander des comptes. »

Maître Terrel alerte sur « la tentative de dévoiement du droit, une volonté de judiciariser, de diaboliser, de criminaliser les questions sociales, les rapports sociaux. Mais la question la plus grave est sans doute la question politique. Symboliquement votre décision sera, Madame la présidente, considérable. Les chômeurs n’ont pas le droit de grève et la CFDT se tire une balle dans le pied car, si votre décision dit que de telles actions non violentes, sans délit, sans séquestration, sans saccage sont un délit, alors on ôte un moyen de s’exprimer à tous ceux-là. Ne nous y trompons pas, si on criminalise, on ne fera pas peur, mais on durcira les rapports sociaux par cette judiciarisation.

Symboliquement, c’est grave, car on attend de vous quelque chose qui n’est pas de votre responsabilité : votre rôle est de sanctionner des délits, pas de réguler des tensions, des rapports sociaux ! Surtout en l’espèce, avec une affaire irrecevable en droit ! Car je le répète, il n’y a pas d’infraction pénale.(…) Il est important que, dans un temps de misère et de revendication, on ne se laisse pas aller à une sanction qui serait lourde de conséquences. Car vous êtes garant des libertés individuelles ». Irène Terrel lit alors un article de la Déclaration universelle des droits de l’homme avant de conclure : « Nous devons protéger les faibles qui n’ont rien fait. Vous ne pouvez pas les condamner. Quelle que soit votre décision, il y aura d’autres faits de ce genre. J’espère donc un jugement de droit ».

Ces cinq heures de procès ont permis un débat sur la question majeure de la liberté et de la nécessité, de s’organiser, de protester, de revendiquer, d’unir les luttes et de ne pas s’en tenir à une démocratie de plus en plus formelle qui ne nous représente plus. Une démocratie soumise aux seuls intérêts du capital. À ce titre, cela faisait sens d’être si nombreux à soutenir Michel et Ludovic et les copains qui s’étaient réunis sur le parvis du tribunal malgré le froid et la longueur des débats faisaient chaud au cœur. N’oublions pas que c’est une condition essentielle que de s’encourager, de se réunir et d’affirmer, de s’exprimer haut et fort sur ce que nous voulons tout autant que sur ce que nous refusons.

Il nous faudra être tout aussi nombreux pour regarder la justice dans les yeux lorsqu’elle prononcera son verdict le 22 janvier.


En médaillon, avant l’audience, André Chassaigne montre à Michel, coiffé de son sempiternel chapeau, le 8 pages de la CFDT



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