La France à coups de bâtons
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Bella Ciao poursuivi par la justice (voir brèves et articles à ce sujet déjà publiés sur Rouge Midi ou sur leur site) nous envoie cette tribune de Alina Reyes
J’apprends que la mise en examen de Roberto Ferrario, considéré comme unique responsable du collectif Bellaciao !!??, pour avoir relayé, comme eût pu le faire n’importe quel site ou blog, un communiqué de presse de la CGT dans l’affaire des Chantiers Navals de St-Nazaire, est notifiée par le Juge d’instruction. Cette mesure répressive, exemplaire d’une volonté de contrôle de la parole sur Internet, est symptomatique d’une très malsaine rigidification politique en France, telle que je la notais dans quelques articles parues dans la presse.
La France a un balai dans le dos, ce n’est pas nouveau. C’est la rigidité de notre tempérament et de nos institutions qui nous a obligés à attendre plus longtemps que beaucoup de nos voisins des droits aussi fondamentaux que le droit de vote pour les femmes, ou le droit à l’avortement.
Et qui nous fera sans doute attendre encore un bon moment avant de répondre à des demandes aussi diverses que la légalisation de l’euthanasie ou la dépénalisation du cannabis... Championne auto-déclarée des droits de l’homme et du citoyen, notre jacobine République me rappelle Mme Mesure, ma maîtresse de CP, qui faisait régner l’ordre dans sa classe à coups de règle en fer sur les doigts des enfants.
La France a un balais dans le dos, avec son triumvirat au sommet de l’Etat c’est tous les jours Guignol. Pan ! Pan ! Guignol c’est nous, le peuple d’en bas, et entre l’escroquerie intellectuelle, le mépris et la répression qui nous guettent à tous les coins de vie, ça nous en fait, des coups sur la tête ! Et hop !, encore un retour de bâton ! Il est prescrit d’interdire, voilà la mode ! Sans doute que les Français, extrêmement décriés chez leurs voisins, enferment quelques fous dans une maison, pour persuader que ceux qui sont dehors ne le sont pas , écrivait mon compatriote Montesquieu. Frères de lait des Anglais grâce à la bien libre et sensuelle Aliénor, Gascons ou Girondins, plus inspirés par la liberté que par la sacro-sainte “égalité” des Montagnards, n’ont pas été des adorateurs de ce démon séculaire et centralisateur qui érige une “France d’en haut” non seulement géographique et politique, mais aussi sociale et culturelle. Prôner la fraternité tout en pratiquant la vassalité n’est pas un paradoxe rare dans cette citadelle nationale où les échelles font défaut...
S’il entend aujourd’hui parler du projet de loi Perben, l’auteur de L’Esprit des lois doit se demander si l’on n’est pas en train d’oublier sa leçon : à savoir que la seule garantie des libertés publiques réside dans la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire... Et que constateraient ses Persans, de retour chez nous trois siècles plus tard ? Eh bien, sans doute que les Français se considèrent encore volontiers comme des juges infaillibles, et sont toujours aussi entêtés de leur mode : c’est la règle avec laquelle ils jugent de tout ce qui se fait chez les autres nations : ce qui est étranger leur paraît toujours ridicule (...) Ils veulent bien s’assujettir aux lois d’une nation rivale, pourvu que les perruquiers français décident en législateurs sur la forme des perruques étrangères...
France bien-pensante, je n’ai pas envie qu’on m’interdise de m’habiller comme je veux où je veux, serait-ce en sac à pommes de terre ou en plumes de Quetzacoatl ! Je n’ai pas envie, parce que je porte des bottines à talons hauts et des collants noirs, d’être soupçonnée de racolage passif et contrôlée par des policiers armés jusqu’aux dents, comme ça m’est arrivé un dimanche après-midi devant le Sacré-Coeur, d’où j’admirais en compagnie de mes jeunes enfants la vue sur Paris - qui d’un coup me parut nettement moins belle...
France administrative, j’en assez de devoir te laisser entrer dans mon intimité chaque fois que j’espère un certificat d’hébergement pour accueillir quelques jours mes amis des pays du Sud en veine de tourisme ! J’en ai assez que tu puisses douter de mon existence, comme c’est arrivé très concrètement à mon fils aîné, alors étudiant : un jour qu’il se présentait en chair et en os devant un guichet de la CAF avec sa carte d’identité et son extrait d’acte de naissance, il se fit prier de revenir, sous prétexte que ce dernier document ne portant pas la mention “non décédé”, rien ne prouvait qu’il était bien vivant... Kafka ou Gogol auraient-ils inventé pareille scène ? Les joies de la bureaucratie ne sévissent pas qu’à l’est de l’Europe...
France sécuritaire, je n’ai pas envie que mes agissements soient soumis à la délation légale et anonyme, ni traités par une police toute-puissante ! Je n’ai pas envie d’être condamnée à la santé forcée par des autorités sanitaires qui de leur côté ne se reconnaissent jamais coupables (tout au plus responsables, quand les preuves sont trop flagrantes) de leurs bévues à grande échelle...
France généreuse, j’espère bien que, comme tu l’as fait pour moi en me donnant la possibilité d’entrer à la fac sans mon bac, moi qui étais un de ces nombreux enfants abandonnés de la société, tu vas t’atteler à la réparation de l’ascenseur social, et avec un meilleur terme que “discrimination positive”, faire preuve du désir de la République de respecter et promouvoir la Liberté, l’Egalité et la Fraternité... Faire vivre les mots, sortir de la langue de bois qui nous assomme aussi, c’est bien une question de désir... Savoir retrouver cette culture du désir éminemment française serait sans doute la meilleure façon de repousser les diverses tentations obscurantistes qui minent notre société, et qu’une politique de coups de bâton, très logiquement ne fait que renforcer.
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